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Critique de jprathle


Faire corps avec la nature

Depuis près de cinquante ans, Claudie Hunzinger raconte des histoires qui ne sont pas très éloignées de son existence de quasi-ermite. Avec son compagnon Francis ils publient en 1973 Bambois, la vie verte, qui pourrait être considéré comme un manifeste de leur vie hors du monde, dans leur bergerie des Vosges. Cette demeure sera présente dans plusieurs de ses romans, et s'appellera tantôt La Survivance, parfois Les Hautes-Huttes ou bien Les Bois-Bannis dans Un chien à ma table. Son double littéraire se nomme ici Sophie Hunzinga, elle vit avec Grieg ; ils ont eu plusieurs noms, entre autres Jenny et Sils, Mélu et Pagel ou bien Pamina et Nils. Dans ses romans, l'artiste plasticienne évoque parfois sa mère Emma, amoureuse d'une résistante communiste, et d'autres fois la nature, invariant qui parcourt son oeuvre. Elle dédicace d'ailleurs son dernier roman à Pierre Schoentjes, professeur de littérature dont le domaine de prédilection est l'écopoétique.

Le début

Un soir, Sophie se tient devant l'entrée de sa maison, pensant à la pluie qui pourrait advenir le lendemain, et qu'elle devrait mettre ses chaussures à semelle compensée et un gros manteau pour son départ. Une chienne va vers elle, qui a plutôt l'air mal en point, et elle se demande d'où elle peut bien venir, tant sa demeure est isolée. Laissant entrer l'animal, elle lui donne à boire et prévient son compagnon Grieg, un vieux grigou passionné de littérature, de son arrivée. Elle commence à apprivoiser la chienne, qu'elle décide de nommer Yes, et ne trouve sur elle pas de collier ou de plaque d'identification. Elle la nettoie, et se rend compte qu'elle a été victime de sévices sexuels. Elle décide de la garder, et lui donne à manger, puis Yes s'enfuie sans que Sophie ne puisse la rattraper. Dans leur demeure où ne figurent de mobilier que le strict nécessaire, les deux membres de ce couple peu banal vivent en ermites, passant leur temps à écrire et à lire.

Analyse

On peut considérer qu'Un chien à ma table entre en résonance avec de nombreuses thématiques contemporaines, et avec des sujets qui agitent à la fois la société et le monde littéraire Sa protagoniste, Sophie, un double revendiqué de Claudie Hunzinger, est une vieille femme qui vit en communion avec la nature. On pense à de nombreux ouvrages où la biodiversité a aujourd'hui une place capitale, comme La vie secrète des arbres, qui fut un énorme succès de littérature. On peut aussi évoquer le travail plus académique, et philosophique, d'Emanuele Coccia. Mais le style du roman se rapproche plus de la poésie de Pierre Schoentjes et de cette façon de ramener dans la littérature des thématiques liées au règne animal ou au règne végétal. Et l'autrice va plus loin, évoquant régulièrement dans son récit la relation quasiment symbiotique que ressent Sophie avec les éléments qui l'entourent. En cela, son livre peut d'une certaine façon être comparé à une oeuvre comme Truismes, de Marie Darrieussecq.

Le traitement d'Un chien à ma table est toutefois radicalement différent de ce que propose l'ouvrage précédemment cité. Son titre fait référence à Un ange à ma table, de Janet Frame, duquel on pourrait le rapprocher, non pas par ses thématiques mais par son style. Claudie Hunzinger raconte avec beaucoup de liberté une certaine forme d'autobiographie romancée, où elle n'hésite pas à endosser une version différente et réaliste d'elle-même. Elle assume son âge, et observe les effets du vieillissement plutôt qu'elle ne les regrette. le ton est alerte, elle se permet de composer des chapitres où ne subsistent qu'un seul paragraphe, d'insérer des notes comme des pensées fugaces qui lui traversent l'esprit, de ne pas chercher des formules ampoulées tout en employant les termes les plus précis pour décrire les plantes ou les animaux qui l'entourent. C'est assez étonnant, parfois redondant, et quelquefois ardu pour qui n'est pas familier avec les forces de la nature.

Car Un chien à ma table pose dès le début sa singularité. La protagoniste du roman est une marginale, un mot qui pourrait venir de l'anglais pour la décrire serait « outcast », qui signifie « bannie », ce qui tombe bien puisque Claudie Hunzinger nomme le lieu où elle habite les « Bois bannis ». C'est une femme qui emploie parfois le mot « queer » pour se définir, et l'on peut assez bien comprendre pourquoi, et qui refuse surtout le monde capitaliste d'aujourd'hui, et qui est effrayée par la tournure des événements qui se trame à l'extérieur de son cocon. D'ailleurs en filigrane de l'action peut-on craindre des émeutes, voire quasiment une apocalypse qui serait en train de se profiler. Seule la nature environnante exerce un sentiment de plénitude, et ce n'est qu'en vivant avec harmonie avec elle que l'on trouvera un salut. Si on s'ennuie un tout petit peu durant les quelque 300 pages du livre, on ne peut en tout que reconnaître la singularité de la voix de l'autrice.
Lien : https://panodyssey.com/fr/ar..
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