Citations sur Une femme regarde les hommes regarder les femmes (25)
Je pense que l'art prend vie dans le monde de l'interstice, qu'il s'adosse aux rythmes et à la musique de nos premiers mois, tout comme je crois en une forme de transfert qui fait jaillir la vie intérieure au-dehors, sur la page, partant de moi vers un imaginaire autre. Mon histoire raconte des vérités émotionnelles, et non littérales.
Et ce ne sont pas forcément des hommes. Ce sont parfois aussi des femmes, aveugles à elles-mêmes, pétries de haine de soi. Tous sont empêtrés dans leurs habitudes perceptives séculières, dans des attentes qui en sont venues à diriger leurs esprits. Et ces habitudes sont pires encore à subir pour la femme jeune, laquelle est toujours conçue comme un objet de désir sexuel, car le corps jeune, désirable et fertile ne peut être vraiment sérieux, ne peut être le véhicule du grand art. Le corps du jeune homme, en revanche, le corps de Jackson Pollock, est taillé pour la grandeur. Un héros de l’art.
Et les artistes sont encore pires parce qu’ils sont avides, en plus. Ils veulent la reconnaissance, la publicité, toutes sortes de choses ridicules.
Bourgeois excellait dans l’art de produire des énoncés à la fois lapidaires et énigmatiques. Elle tisse elle-même la trame de son propre mythe fondateur, le grand roman familial, la trahison vécue dans son enfance, un conte qui dissimule autant qu’il révèle. Mais les mots “communication avec autrui” inscrivent tout son travail sous le signe du dialogue : elle témoigne de ce que, en réalité, l’art est toujours fait pour l’autre, un autre imaginaire, certes, mais un autre quand même. L’art est une adresse, c’est une tentative pour être vu, compris et reconnu par autrui. Et cela implique une forme de transfert.
D’ailleurs, quoi de mieux qu’un ballon pour servir de métaphore aux leçons de l’histoire : on souffle, on souffle, on souffle, et il gonfle, gonfle, et gonfle encore, et, dans l’emballement, on en oublie les lois de la physique, on en vient à croire que ce ballon est unique au monde, que ses dimensions ne peuvent connaître aucune limite. C’est alors qu’il explose.
Aucun individu doué d’intelligence, dans le monde de l’art, ne peut croire que ce boom sera éternel.
De nos jours, la valeur de l’œuvre d’un plasticien n’a rien à voir avec le coût des matériaux utilisés, et le prix n’est nullement le reflet du temps passé au travail par l’artiste – peu importe qu’il y ait consacré une année entière ou qu'il l’ait produite en un tournemain. Jeff Koons fait fabriquer toutes ses œuvres par des tiers, qu’il paie à coup sûr généreusement pour leur expertise. Acheter une œuvre d’art, ce n’est pas comme acheter une voiture ou un sac à main, même si ces marchandises peuvent s’acquérir à des prix démesurés.
En tant qu’artiste, je refuse toute catégorisation définitive et étouffante qui sépare le contenu de la forme, l’émotion de la raison, le corps de l’esprit, l’homme de la femme, tout comme les récits qui font de l’histoire de l’art une épopée où s’affrontent des rivaux de sexe masculin.
On connaît la fameuse phrase de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe : “On ne naît pas femme : on le devient.” Il est vrai que les significations de ce mot s’accumulent et se modifient au cours d’une vie.
L’art n’est pas l’application d’un canon de beauté, mais ce que l’instinct et le cerveau peuvent concevoir indépendamment du canon. Quand nous aimons une femme, nous ne commençons pas à mesurer ses membres. Nous l’aimons avec nos désirs – même si tout a été fait pour essayer d’appliquer un canon à l’amour lui aussi.