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Critique de gerardmuller


À rebours /J.K.Huysmans

le duc Jean des Esseintes a trente ans. Il a perdu ses parents alors qu'il n'avait que dix-sept ans. Il est d'un caractère nerveux et passionné.
Après des études chez les Jésuites au cours desquelles il fit montre d'une belle intelligence, éveillée mais indocile et indépendante, sa foi malgré les efforts de ses maîtres eut vite fait de vaciller pour devenir débile. Lorsque échut le moment de quitter les Jésuites, c'est son cousin le comte de Montchevrel qui devint son tuteur en son hôtel particulier de la rue de la Chaise où s'entretenaient des quartiers de noblesse et des lunes héraldiques au cours de soirées mémorables et de cérémonies surannées. Jean considérait avec mépris toutes ces momies ensevelies dans leurs hypogées pompadour à boiseries et à rocailles d'un autre âge ainsi que les débauches alvines basses et faciles les accompagnant.
Il fréquenta ensuite des hommes de lettres aux jugements rancuniers et mesquins dont les conversations nageaient dans la banalité la plus affligeante. Son mépris de l'humanité s'accrut quand il comprit enfin que le monde est en majeure partie composé de sacripants et d'imbéciles. Il rêvait alors d'une thébaïde raffinée, calme et propice à la méditation et la prière où il se réfugierait loin de l'incessant déluge de la sottise humaine. En fait, une seule passion le retenait de sombrer dans cet universel dédain qui le poignait : la femme.
« Un tumulte se levait en son âme, un besoin de vengeance des tristesses endurées, une rage de salir par des turpitudes des souvenirs de famille, un désir furieux de panteler sur des coussins de chair, d'épuiser jusqu'à leurs dernières gouttes, les plus véhémentes et les plus âcres des folies charnelles. »
Mais d'une façon générale, quoiqu'il tentât, un immense ennui l'opprimait, les sens en léthargie allant jusqu'à l'impuissance.
Même la nature, qui pour lui a fait son temps, ne trouve plus crédit à ses yeux, cette sempiternelle radoteuse qui a usé la débonnaire admiration des vrais artistes ; le moment est venu de la remplacer autant que faire se pourra par l'artifice qui est la marque distinctive du génie de l'homme. À bas le naturalisme !
le temps passant, Jean réalise alors qu'il a dévoré la majeure partie de son patrimoine. Aussi décide-t-il de vendre le château familial de Lourps pour chercher la demeure où il pourra vivre dans une définitive quiétude. C'est ainsi qu'il acquiert la maison de Fontenay aux Rosespour vivre dans un silencieux repos.
Après avoir mené naguère une vie agitée en goûtant à tout, il se retire donc dans un pavillon au coeur de la Brie, dans lequel il réunit une collection sans égal de livres anciens et rares, et se consacre en toute oisiveté à l'étude critiques des textes. Féru de culture latine, il a une passion pour certains auteurs de l'Antiquité comme Pétrone tout en exprimant son mépris pour d'autres comme Salluste un peu décoloré selon lui, Tite-Live le pompeux sentimental, ou Tacite le nerveux.
Seul donc le séduit Pétrone, metteur en scène « des aventures des gibiers de Sodome, observateur perspicace dépeignant en une langue splendidement orfévrée les vices d'une civilisation décrépite et d'un empire qui se fêle, délicat analyste et merveilleux peintre déroulant la menue existence du peuple, ses bestialités et ses ruts, avec ses gitons et ses femmes offrant leurs garçons et leurs filles aux débauches des testateurs. »
Quant aux auteurs contemporains, seuls Baudelaire, Verlaine ou Mallarmé, trouvent grâce à ses yeux. Ou encore Poe, Flaubert et sa langue d'une inimitable magnificence, Barbey d'Aurevilly et Villiers De l'Isle Adam. Et bien sûr le marquis de Sade. Chez les Anciens, il préfère largement la poésie superbe d'Ausone, le chant de l'enlèvement de Proserpine écrit par Claudien ou les écrits dogmatiques, les plaidoyers et les homélies de Tertullien, aux emphases cicéroniennes.
Il éprouve ensuite une dilection pour le peintre Gustave Moreau et son tableau figurant La princesse Salomé, déité symbolique de l'indestructible luxure, la déesse de l'immorale hystérie, une beauté maudite, une danseuse coruscante qui l'écrase, l'anéantit de vertiges le privant de toute perspicuité. L'insapidité de toute autre peinture le désespère.
Des Esseintes est l'archétype du jeune homme européen atteint du « mal du siècle », illustrant la décadence qui rejette le naturalisme de Zola et le romantisme en général.
Bientôt, l'esprit saturé de littérature et d'art, des Esseintes dont le cerveau a subi l'action narcotique de la solitude dans un confinement contre nature, est attiré par la religion qui l'apaise, mais il sait déjà qu'il n'aura jamais l'esprit d'humilité et de pénitence d'un vrai chrétien. Son maître est tantôt Lacordaire, tantôt Schopenhauer et ses aphorismes célèbres. Sa jeunesse chez les Jésuites et les réminiscences liées lui laisse encore parfois penser que la religion est une superbe légende, une magnifique imposture. Argumentant avec lui-même ainsi qu'un casuiste, il se pose la question de savoir si sur la croix était clouée la Trinité ou Jésus seul de la triple hypostase. Et cela l'obsède jusqu'au délire ! En regardant alors avec une certaine concupiscence les oeuvres de Gustave Moreau pendues aux murs de la maison, il est pris d'un état peccamineux qui lui apporte une sorte d'orgueil et de plaisir sacrilège.
Peu à peu sa diète littéraire et ses tourments relatifs à la foi suscitent des troubles aggravant sa névrose chronique originelle et il se prend subitement d'une dilection irrépressible pour les fleurs et s'en fait livrer des tombereaux assimilant le magasin d'un horticulteur à un microcosme qu'il veut reproduire chez lui. Curieusement il veut des fleurs naturelles qui imitent les fausses fleurs ! Et vénéneuses si possible !
Or comme toujours il est vite blasé et s'en retourne vers la peinture : Goya, Rembrandt et peu à peu l' anaphrodisie dont il souffrait se dissipe. Mais dans son esprit torturé, il est encore obsédé par la religion, non pas par elle-même mais par la malice des actes et des péchés qu'elle condamne. Après ses obsessions libertines et mystiques il connait des hallucinations olfactives. Et pour contrer ce parfum fictif de frangipane qui le poursuit, il se constitue une collection avec musc, civette, eau de myrte, myrrhe, oliban, ambre, patchouli, ambroisie, chypre, vétiver. Et une manière d'orgue à parfum…
Et puis, son esprit toujours en ignition, c'est une passion pour le plain-chant et le chant grégorien qui le saisit ! Il n'avait pourtant pas étudié la musique avec cette passion qui l'avait porté vers la peinture et la littérature. Malgré cela la maladie névrotique agit sur son organisme qui va de mal en pis. La seule option reste de consulter un médecin qui en guise de traitement ultime lui conseille de changer radicalement d'existence. Il lui faut abandonner sa béatitude loin de Paris, rejoindre la capitale et rentrer dans la turpitude et la servile cohue du siècle. Il appelle à l'aide, pour cicatriser le traumatisme, les consolantes maximes de Schopenhauer.
Quittant Fontenay, il s'écrie : « Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir ! »

Paru en 1864, ce roman de 430 pages a la particularité de faire défiler des pages et des pages sans qu'il ne se passe rien ou presque, la narration se concentrant essentiellement sur le personnage principal, Jean des Esseintes, une manière d'antihéros cacochyme et égrotant, esthète et excentrique, en évoquant ses goûts et surtout ses dégoûts, ses délices épulaires et autres ribotes, le tout dans un exercice de style foisonnant et un vocabulaire somptueux rendant l'histoire de des Esseintes tout à fait anecdotique.
Cet ouvrage est considéré comme un manifeste de l'esprit décadent apparaissant à la fin du XIXe siècle. Il reste une oeuvre à part dans l'histoire de la littérature, une expérience romanesque jamais réitérée par Huysmans. Au coeur de la narration évoquant les addictions et dilections de des Esseintes, s'intègrent nombre de réflexions sur l'art, la littérature et la foi. À noter qu'Oscar Wilde reconnait s'être inspiré de ce roman pour écrire le Portrait de Dorian Gray et que À rebours est l'oeuvre préférée de Michel Houellebecq.

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