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sur 213 notes
Suite à son superbe premier roman inspiré de la vie de sa grand-mère, qui décrivait les dures conditions de vie des paysans tatares déportés massivement au début des années 30, l'écrivaine russe Gouzel Iakhina aborde ici une autre minorité opprimée , les Allemands de la Volga. Une communauté venue peupler la Russie au XVIIIe siècle à l'instigation de l'impératrice Catherine II, et qui subira aussi réquisition, famine et déportation.
Notre protagoniste cette fois-ci est Jacob Bach, un drôle de bonhomme, qui semble s'être échappé d'un conte des frères Grimm. Instituteur dans les années 20, dans le petit village de Gnadenthal, au bord de la Volga, féru de poésie, ne s'exprimant qu'à travers Goethe, Schiller, Heine, et portant une passion sans bornes pour les tempêtes. Une drôle d'invitation va l'immiscer dans une tempête plus foudroyante et imprévue , faisant perdre même aux plus puissants orages sur la Volga tout pouvoir sur lui. Elle s'appelle Klara.....et est la fille d' Udo Grimm 😊, nom prémonitoire au monde des contes dans lequel va bientôt basculer le récit, bien que dans le fond basé sur des faits historiques véridiques ( détaillés dans les « Commentaires » de la fin ). Un monde de contes et légendes où vont se blottir les protagonistes pour fuir les réalités difficiles et douloureuses de l'existence. Mais même isolés ils seront vite rattrapés par la folie du “vaste monde”, où échapper à la dichotomie du Bien et du Mal sera presque impossible.....Une dichotomie où le Mal est aussi directement lié aux faits historiques, dont l'avènement du communisme qu'Iakhina critique virulemment ,”....le monde, dévasté par les éléments en furie, n'en gardait pas moins ses composantes principales – le ciel, le soleil, la terre ferme. Or, à présent, à Gnadenthal, il n'y avait plus ni le premier, ni le deuxième, ni le troisième : le nouveau pouvoir installé à Pétersbourg avait supprimé le ciel, déclaré que le soleil n'existait pas, et remplacé la terre ferme par de l'air...La foi, l'école et la communauté – les trois piliers immuables de la vie de la colonie – avaient été confisquées aux habitants de Gnadenthal.......”

Iakhina est une magicienne des mots, une conteuse sublime qui arrive même à maquiller le pire, l'horreur, muant sa plume en caméra ( l'écrivaine a fait une école de cinéma ), avec de très belles images et descriptions qui redonnent espoir et énergie au lecteur pour la suite. Sublime la scène de billard de Staline, lorsque la nuit tombe et son adversaire allume une lampe électrique...Un monde de réalisme magique où dans la misère totale on arrive à échanger proverbes et dictons contre des verres de lait pour un bébé, à traverser à pied un fleuve gelé alors que la glace craque, à écrire des contes prémonitoires qui redonnent vie et prospérité à un village.....le pouvoir de l'écrit ! Un monde où elle transite non seulement à travers des personnages fictifs mais aussi des vrais personnages historiques, dont Staline ici l'un des personnages du roman, qui permet de ne jamais perdre pied avec la réalité. L'univers ensorcelante d'Iakhina, d'une richesse insondable où on voudrait déchiffrer chaque détail m'interpelle infiniment , un livre que j'ai dévoré le temps d'un rêve éveillé, allongée sur les rives de la Volga 😊!

« ....contes merveilleux....ils sont les clés de ces coeurs enfantins. Enfantins parce qu'ils ne peuvent pas cesser de croire aux contes de fée....Les contes et les légendes-c'est la base ! La base de l'âme , ses fondements qui sont posés dans l'enfance, sue lequel repose toute l'essence humaine. »


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A l'intérieur de chaque livre vit une chose principale qui en constitue son essence. Si on enlevait cette chose, le livre ne serait plus le même, un livre vide, comme une prune indigo sans son noyau. C'est ainsi que certains livres se démarquent par leur essence romanesque, d'autres par leur poésie, ou par leur engagement, ou encore par leur intrigue, tandis que certains brillent par leur côté visionnaire…Ce livre « Les enfants de la Volga » de l'auteure russe Gouzel Iakhina est soutenu par plusieurs piliers, combo étonnant, récit gigogne entremêlant le conte, le fantastique, la poésie, le romanesque, et l'histoire politique et économique de la Russie du début du 20ème siècle. C'est également un roman d'apprentissage. Gouzel Iakhina fait cohabiter les faits historiques avérés, parfois glaçants, voire absurdes, avec des scènes fantastiques incroyables au point de ne pas savoir parfois s'il s'agit d'un rêve ou de la réalité. Telles des matriochkas, ces fameuses poupées russes qui s'emboitent les unes à l'intérieur des autres, les styles s'imbriquent avec magie dans ce livre fleuve. Ces entrelacs m'ont fait penser au style onirique de certains auteurs slaves, notamment Laszlo Krasznahorkai, qui peut dénoncer un système politique tout en teintant son discours de rêves et de fantastique (sa fameuse baleine par exemple dans La mélancolie de la résistance). Un Laszlo Krasznahorkai en plus poétique, bucolique et sensuelle.

Le récit nous transporte sur les bords de la Volga, à Gnadenthal, au début des années 1920, près de la ville de Saratov, dans une colonie d'Allemands installés en Russie depuis le XVIIIe siècle, sur invitation de Catherine II. Ces colons ont gardé la langue et les coutumes de leur pays d'origine. Nous allons assister à vingt ans d'histoire de ce territoire marquée alors par la collectivisation des terres et l'abolition de la république autonome allemande de Staline. La traductrice Maud Mabillard a pris soin de relater l'histoire (assez méconnue) de ces colonies allemandes au tout début du livre.

Bach est le maitre d'école de cette petite bourgade, et il se retrouve mystérieusement invité sur l'autre rive, la rive où personne jamais n'ose s'aventurer, pour donner des cours particuliers à une étrange jeune fille, Klara, cachée derrière un paravent, qu'il ne doit pas voir, ordre du père, de peur que la jeune fille ne soit corrompue et perde son innocence. de cette situation inédite, source de questions, d'interrogations, où les sons et les odeurs, les soupirs, les intonations de la voix, prennent une dimension sacrée, nait un amour entre l'élève et son professeur. La lecture des contes et d'un livre de Goethe est leur unique moyen de communication, les cours se faisant en présence d'une vieille femme, une fileuse, qui les surveille. La naissance de cet amour est exquis, délicieux, Bach guettant sous le paravent les doigts de la jeune fille quand il lui passe un livre. Et « d'autres fois, par ciel clair, le soleil couchant pénétrait dans la chambre, et on voyait apparaitre, sur la toile du paravent, comme sur un écran, une tache grise indistincte : l'ombre de Klara ».

L'histoire politique et économique de ce territoire, relatée par moment avec moult détails précis et passionnants, s'imbrique intelligemment avec cette histoire d'amour. Histoire d'amour entre Bach et Klara, simple, poétique, tragique aussi, puis celle, poignante, entre Bach et la petite Anntche, qui se passe de mots, histoire avant tout sensorielle et viscérale. Par le biais de ces deux amours, d'époux puis de père, nous assistons à la transformation de Bach, ces amours lui donnant peu à peu « la capacité à être touché par la beauté du monde et à distinguer la vie même dans ses manifestations les plus intimes ». de ruisseau il devient rivière.
L'éducation instinctive qu'il développe pour la petite Anntche m'a fait parfois penser à certains passage de Jean-Jacques Rousseau « Emile ou de l'éducation », éducation basée sur le développement des sens et sur des déductions liées à l'environnement et les expériences dans la nature, coupée de toute civilisation. Ce livre évoque aussi la question de la transmission, de la paternité, et ce de façon touchante.

Ce livre se démarque également par sa facette fantastique, voire magique, facette sertie d'une écriture sublime, donnant à cette histoire une touche étonnante, tel un piment venant rehausser un plat, le fantastique colore le récit :
« Il tourna la tête de tous les côtés, n'en croyant pas ses yeux : autour de lui, le monde fondait comme du lard gras sur une poêle. Les objets perdaient leurs contours et se dissolvaient, glissant sur les bords du ravin : les gros tronçons de bois, les rochers, les billots moussus, les faisceaux de racine, les feuilles pourrissantes. Les couleurs se mêlaient, fusionnaient les unes avec les autres : la noirceur de la terre et la rougeur des feuilles, le gris du bois et le vert de la mousse : tout coulait lentement vers le bas. Bach se débattit désespérément, chercha à trouver quelque chose de solide dans ces tas mouvants. Il s'enfonçait dans ces abattis, s'enfonçait horriblement, inexorablement, comme une mouche se noie dans le miel, un papillon de nuit dans la cire fondue d'une bougie ».

Élément tout aussi important, la trame narrative basée sur les contes. L'histoire même semble souvent être un conte : « Bach se retourna, et se heurta au regard fixe de la vieille, dont les yeux déteints par l'âge, à demi dissimulés sous des ciels gris, ressemblaient à des petits Knödel flottant dans une soupe au lait, et le dévisageaient avec indifférence, tandis que ses doigts continuaient à filer sans bruit – non plus le fil, mais le vide ».
Ce sont les contes qui vont être à l'origine de l'amour entre Bach et Klara puis ils deviendront même des médiums décidant de la destinée du village. Nous mesurons alors combien les contes sont porteurs certes de lumières mais surtout de forces mauvaises, faiblesses humaines épinglées ; ces forces sombres peuvent même être leur moteur principal. Cette symbolique du conte, très présente, donne irrésistiblement envie de déchiffrer tous les détails, ceux-ci ayant sans doute une signification, pas toujours évidente de prime abord à trouver. Sans doute suis-je passée à côté d'un certain nombre d'entre eux.

L'écriture de l'auteure honore à merveille la nature et la femme. La flore, la neige et surtout la Volga, colonne vertébrale du récit qui divise le monde en deux, sont magnifiées. Gouzel Iakhina utilise les jeux de lumières, les couleurs, les odeurs et les sons, ainsi que de nombreuses personnifications pour sertir son roman de descriptions inoubliables faisant souvent penser à des tableaux.

« Il se mit dos à la lumière et regarda la femme. Elle était nue. Bach la voyait ainsi pour la première fois : faite de lait et de miel, de lumière douce et d'ombre veloutée. Ses mains fines étaient posées sur son ventre rond, le cachant et le protégeant ».

Ce mélange des styles donne une ambiance ouatée, feutrée, silencieuse, presque ralentie dans laquelle on se sent bien même si cet entrelacement, notamment celui des faits historiques et du fantastique, peut également dérouter. Mais dans tous les cas, oui, Gouzel Iakhina, « tu l'as ce fichu don d'écrire. Tu assembles tes mots comme on fait de la dentelle. Tu es un poète ». Et c'est peu de le dire. Un grand merci à Babelio, notamment à Déborah Zitt, et aux éditions Noir sur Blanc dans le cadre d'une masse critique pour cette découverte d'une vraie pépite de la littérature russe contemporaine.

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C'est le genre de livre un peu magique qui vous emporte quasi immédiatement, proposant un récit miraculeusement lumineux alors que tout ce qui est raconté tend vers la tragédie.

Les jalons historiques sont très précis, liés à l'histoire de la Russie puis URSS, et des Allemands de la Volga venus s'y installer à l'invitation de Catherine II dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Gouzel Iakhina choisit comme décor la colonie allemande de Gnadenthal ( près de l'actuelle Saratov ), secouée par le cours de l'Histoire : guerre civile, collectivisation forcée, famines, grandes purges staliniennes, déportation au Goulag, de 1917 à 1942. Mais elle n'attaque pas ce contexte historique de front, préférant se concentrer sur le parcours intime de son personnage principal, Jakob Bach. de sa ferme en marge de la colonie, paradis utopique alternatif au kolkhoze, il se fait le témoin de la violence des hommes, simple individu balloté par une Histoire en marche dont il ne peut saisir la mécanique destructrice avant que de la vivre pour protéger sa femme et sa fille comme il le peut.

La beauté du roman naît justement de ce décalage entre une réalité historique d'une rare violence et une narration qui revêt les atours d'un conte presque naïf teinté de réalisme magique et de folklore germano-russe. La naissance de l'idylle entre Bach et Klara est d'une grâce folle, elle cachée derrière son paravent, les échanges se faisant, à défaut de regard, à travers la poésie allemande, les coeurs chavirant au rythme des scansions goethiennes. En fait, le conte est partout. Bach en écrit cent pour un journal communiste, exutoire à sa douleur, moyen de redonner un sens à sa vie … mais il écrit des contes qui étrangement se réalisent, dans le bonheur ou le malheur, préfigurant les récoltes fructueuses, annonçant l'épuisement des hommes dans le système totalitaire stalinien ou encore l'embrigadement des enfants dans les Komsomols.

Il y a bien quelques longueurs dans ces entrelacs de récits, je me suis parfois un peu lassée des mêmes procédés, mais le talent d'écriture de Gouzel Iakhina m'a à chaque fois raccrochée, stimulant l'imagination, imprimant des images fortes, comme ici lorsqu'elle raconte comment Bach est attiré par les orages :

« le ciel ventru, si gonflé de nuages qu'il en touchait presque terre, bruissait, crépitait, bourdonnait. Soudain, il s'illuminait d'un éclair blanc, poussait un sanglot passionné et bas, et s'abattait sur la steppe en grosses trombes d'eau froide. Bach déchirait les pans de sa blouse, découvrant sa poitrine malingre, levait son visage vers le ciel et ouvrait la bouche. La pluie se déversait sur son corps, passait à travers lui, ses pieds sentaient la terre trembler à chaque nouveau coup de tonnerre. Des éclairs jaunes, bleus, d'un noir violacé, flamboyaient de plus en plus souvent – au-dessus de lui ou dans sa tête ? L'effervescence de ses muscles culminait – le ciel tonnait encore une fois – et le corps de Bach éclatait en milliers de particules qui s'éparpillaient sur la steppe. Beaucoup plus tard, il recouvrait ses esprits, couché dans la boue, le visage couvert de griffures et des chardons plein les cheveux. »

Cette écriture très cinématographique et poétique fait vivre les scènes, ses descriptions témoignant d'une belle sensibilité et sensorialité pour dire la nature, omniprésente, immuable pour accompagner les drames humains, à l'image de la somptueuse Volga, charriant les cadavres des victimes du régime communiste mais permettant également de garder la mémoire des morts.


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Épuisés par la guerre de Sept Ans, par la famine et la ruine qui dévastent l'Europe, les colons allemands sont ravis d'être invités par Catherine II à s'installer sur les rives de la Volga, où ils conservent leur culture, leurs traditions, leur langue et leurs religions. Mais après la révolution russe, le territoire autonome allemand crée par Lénine est transformé en république socialiste soviétique soumise à la collectivisation, ce qui conduit au milieu du XXe siècle beaucoup de ces colons à émigrer vers l'Amérique du Nord et l'Argentine. Ceux qui restent seront déportés pendant la Seconde Guerre mondiale à la suite de l'invasion allemande de l'URSS.

Une histoire que je découvre avec ce formidable roman de Gouzel Iakhina qui entre descriptions féeriques de la nature et réalité atroce de ces Allemands de la Volga nous plonge dans la vie de Bach, maître d'école dans le petit village perdu de Gnadenthal. Un homme, sauvé du chagrin et du désespoir à la mort de sa femme aimée grâce à sa passion des mots, qui nous entraîne dans le monde fascinant de ses contes, souvent prophétiques des malheurs à venir de la communauté.
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Merci à l'opération Masse critique privilégiée et aux éditions Noir sur Blanc pour l'envoi de ce livre. Cet éditeur m'a déjà fait découvrir de nombreux joyaux de littérature slave et ce livre en est un nouveau !

J. 'avais déjà été conquis par le précédent livre de Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, et ai donc été ravi de recevoir ce nouveau roman.

Roman aux multiples facettes, inscrit dans un contexte historique que je connaissais peu, celui des colons allemands venus en Russie à l'invitation de Catherine II, ceux-ci recevant après la révolution une reconnaissance officielle de part de Lénine : la création par Lénine de la République soviétique des Allemands de la Volga, avant de connaître la déportation sous Staline à la montée du Nazisme en Allemagne. Cet aspect historique, de 1918 à 1938, est sous-jacent.

le récit principal s'attache à Jakob Bach, Schulmeister (instituteur) dans le village de Gnadenthal au bord de la Volga. Les habitants y parlent allemand et sont peu informés de ce qui se passe dans l'immense Russie hors de leur environnement immédiat.
De la trame, je me contenterai de vous inciter à lire la quatrième de couverture, je ne souhaite pas en dévoiler davantage !

le personnage de Jakob est complexe, et bien développé par l'auteure, ses réactions devant les événements paraissent parfois étonnantes, mais il est absolument fascinant.
Son amour pour Klara et Anntche est beau et touchant, sa recherche d'isolement du monde extérieur est particulière.
J'ai particulièrement aimé sa relation à l'écriture, il y a de très belles pages à ce propos. Jakob s'y révèle véritablement.
Ses récits sont surtout des contes qui se révèlent prophétiques mais il couche également sur papier des réflexions sur le monde et les événements - guerre civile, famine, oppression, kolkhozes.

J'ai aimé les autres personnages de ce roman, Klara notamment, ses premières rencontres avec Jakob sont surprenantes, mais aussi Hoffmann, commissaire envoyé par le Parti à Gnadenthal, Anntche, petite fille très éveillée, curieuse et téméraire et enfin Vasska, le petit Kirghize. Je vous laisse les découvrir.

le Petit père des peuples - Staline n'est pas nommément cité - intervient dans quelques chapitres, sans qu'il n'y aie aucune rencontre avec Jakob. Staline y est présenté de manière surprenante, dans des situations inhabituelles mais où l'on perçoit toujours la crainte qu'il suscite.

Jakob crée son propre calendrier des événements, il ne donne pas de dates à ceux-ci mais les évoque en leur donnant un nouveau nom : l'année des Maisons ruinées, l'année de la Faim, l'année de la Grande lutte, etc

Roman aux multiples facettes, je le répète ! Il ne se laisse pas enfermer dans une catégorie précise, on y trouve des bribes de roman historique, de roman d'amour, de roman psychologique, de roman fantastique. Cet aspect fantastique apparaît dans des récits oniriques parfois effrayants…

Deux cartes permettent de situer les lieux et la traductrice dans une note initiale retrace brièvement l'histoire des Allemands de la Volga

Un roman que j'ai aimé, très différent de Zouleikha ouvre les yeux cependant, il confirme la talent d'écrivain de Gouzel Iakhina !








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J'ai découvert en lisant ce roman les Allemands de la Volga et le sort qui leur a été réservé dès 1920. On y suit les péripéties de Jakob Bach un maître d'école dans le village de Gnadenthal, une colonie située sur les rives du fleuve. Il fait partie des descendants des Allemands venus s'installer en Russie au XVIIIe siècle.
L'écriture qui accompagne cette histoire est très belle, poétique et soignée. le cadre historique et bien documenté, les sujets très intéressants. Ce roman historique avec son atmosphère qui se situe entre rêve et cauchemar a beaucoup de qualités. Mais il contient beaucoup trop de longueurs avec des passages sans réel intérêt qui ont gêné ma lecture.
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Il faut un peu de persévérance pour repérer la chute d'Icare pourtant annoncée par le titre du tableau de Brueghel. Ce que voit le spectateur, en revanche, c'est une scène bucolique et familière, un homme qui pousse sa charrue. Dans son sublime roman, Gouzel Iakhina adopte une perspective identique: oui, bien sûr, la grande histoire et le mythe, mais d'abord des gens qui vivent, qui aiment, et je crois n'avoir jamais lu plus beau récit de l'amour d'un parent pour son enfant.
Sauf qu'Icare ne se contente pas de choir loin du laboureur: son échec raconte la folie des hommes qui croient s'affranchir des lois humaines; Icare victime de son orgueil mais plus encore de la cruauté du tyran qui lui refusa injustement la liberté. Et le laboureur qui croit pouvoir ignorer les exactions de son roi paiera sans doute un jour fort cher son indifférence.
L'histoire, donc, qui s'invite sur les rives de la Volga, c'est celle d'Allemands encouragés par Catherine la Grande à cultiver des terres fertiles qu'ils transformèrent en paradis autarcique et qui devinrent l'enjeu du poker menteur engagé entre Staline et Hitler. Ils furent tirés de leur superbe isolement et moururent en déportation.
Mais le personnage principal du livre est un maître d'école devenu veuf qui tente d'être un bon époux puis un bon père en vivant la simple et dure existence d'un paysan attaché à sa ferme.
Mais, bien sûr, la grande histoire n'est pas seulement une toile de fond; elle se fond au mythe pour devenir un conte, sans bonne fée ni prince charmant, mais capable de nous donner ce que délivre la littérature quand elle est grande: une leçon de vie, une raison de vivre.
Grimm, le père de la princesse prisonnière, Bach, son amoureux, et même Staline ont en commun la peur, celle qu'ils inspirent et qu'ils ressentent. le tyran politique se rengorge d'être craint et, croit-il, tout puissant. Mais l'univers où il règne est détestable, même pour lui. La carpe féroce sera la première à être dévorée, le chef de meute sera tué d'une balle bien ajustée et Staline fera le vide autour de lui, craignant ceux-là mêmes qui veillent sur lui. Mais le despote n'est pas seul en cause: ceux qu'il asservit attendent justement d'un chef qu'il soit brutal et arrogant, à l'exemple du professeur de billard de Staline, heureux des horions portés par son élève, preuves de son talent. Quant au tyran domestique, il asservit ses filles, par amour, bien sûr. Staline n'était-il pas le petit père des peuples?
Car ce n'est pas seulement une leçon politique que nous donne Iakhina: elle nous rappelle qu'être parent consiste, pour ne pas devenir soi-même un tyran, à s'effacer, à renoncer. Renoncer à être tout pour son enfant. Renoncer à une protection qui deviendra fatalement mortifère. Refuser la toute-puissance. le laisser être heureux sans soi.
Qu'ils sont rares les livres capables de tenir tous les fils de la vie: le fil de l'expérience quotidienne qui nous parle à voix basse, le fil de la grande histoire qui nous emporte, le fil du conte qui nous enseigne. « Les Enfants de la Volga » est de ceux-là.
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Il était une fois, vers 1920, un instituteur qui s'escrimait, en vain, à initier ses petits élèves à la poésie allemande, dans le petit village de Gnadenthal, sur les bords de la Volga.

A cette époque, Gnadenthal et ses alentours sont peuplés par une communauté d'Allemands, qui se perpétue sur les rives du fleuve depuis environ 1750, lorsque la tsarine Catherine II de Russie les a invités à s'y installer pour en cultiver la terre. La communauté, repliée sur elle-même, a conservé au fil des siècles sa langue, sa religion, ses coutumes. Et comme la plupart des minorités, elle finira par être persécutée, en l'occurrence par le pouvoir bolchevique et en particulier par Staline au début de la Seconde Guerre Mondiale, qui craignait que les Allemands de la Volga ne s'érigent en un ennemi intérieur, alliés de l'Allemagne nazie qui venait d'envahir l'URSS. Mais nous n'en sommes pas là, reprenons depuis le début.

Vers 1920, donc, la vie tranquille de Jakob Bach, le jeune instituteur un peu étrange de Gnadenthal, va être bousculée de fond en comble. Un beau jour, il reçoit une mystérieuse offre d'emploi d'un certain Udo Grimm, riche fermier vivant sur l'autre rive de la Volga. Celui-ci invite Bach à donner des cours à sa fille Klara... derrière un paravent, sans jamais se voir. Evidemment cela n'empêche pas les deux jeunes gens de tomber amoureux, mais le reste de l'histoire est loin de n'être qu'un conte de fées. D'abord séparés par le père de Klara, ils se retrouvent après quelques péripéties et s'installent tous deux dans la ferme isolée, en se gardant de tout contact avec "le vaste monde". Qui se rappelle bientôt à eux sous la forme de trois intrus malintentionnés, qui violent Klara. Celle-ci meurt neuf mois plus tard en donnant naissance à une petite fille, Anntche. Bach, déjà traumatisé par le viol de sa bien-aimée, se replie encore plus sur lui-même, jusqu'à en perdre l'usage de la parole. Malgré son abattement, il veut préserver par-dessus tout Anntche, son innocence, sa pureté, et la garder près de lui comme un trésor, quitte à en faire une sauvageonne, pour empêcher la cruauté du monde de l'atteindre. Bien entendu, le "vaste monde" ne l'entend pas ainsi et rattrape tous ceux qui s'opposent ou essaient d'échapper à sa marche infernale et impitoyable.

Curieux mélange de genres que ces "Enfants de la Volga". Il y a principalement un conte, avec des personnages qui vivent dans une sorte de monde enchanté édénique, avec quelques incursions dans la réalité étriquée de la communauté de Gnadenthal, elle-même assez peu informée et concernée par L Histoire en marche. Et puis, imbriqués dans cette linéarité, il y a les épisodes historiques qui secouent la Russie à la même époque, autant de jalons concrets (quoique souvent imprégnés d'onirisme) pour nous faire revenir à la "vraie vie". On comprend alors qu'au fur et à mesure de la pression, de l'oppression subies par les Allemands de la Volga de la part du pouvoir bolchevique, c'est le petit monde merveilleux de Bach qui se délite.

"Les enfants de la Volga" montrent la pureté et l'innocence fracassées par la barbarie de la guerre, l'impossibilité de vivre à la marge d'une société totalitaire qui vous uniformise ou vous tue, la dévoration d'une communauté paisible et minoritaire par l'Ogre du stalinisme.

Violente critique du communisme, ce roman entre deux rives brouillées, celles du conte et de la réalité, me laisse perplexe : des personnages complexes au point que je ne suis pas arrivée à m'y attacher, ni à leurs histoires ; un style qui ne m'a pas convaincue non plus, poétique certes, mais qui m'a semblé indigeste à force de longueurs et d'énumérations sans fin. Reste le contexte historico-politique, qui m'a fait découvrir l'histoire (dont j'ignorais tout) de ces Allemands de la Volga.

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc.

#LesenfantsdelaVolga #NetGalleyFrance
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Traduit du russe par Maud Mabillard

Une histoire terrible, racontée de façon poétique, traversée par la Volga, superbe en toutes saisons, parfumée par l'arôme des pommes.
Bach et Klara tombent un jour amoureux. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si, un jour, trois inconnus ne faisaient irruption dans leur ferme et ne violent Klara. de ce viol naîtra Anne, surnommée d'abord Anntche puis Anka. Cette tragédie aura une répercussion inouïe sur la vie de ces trois êtres. Bach est devenu mutique, un « ermite muet à la barbe grise », Anntche grandit dans l'isolement de la ferme, quant à Klara...
Leur histoire s'écrit en même temps que l'Histoire de la "République soviétique des Allemands de la Volga" voulue par Vladimir Lénine.
L'auteur se base sur des bases historiques précises, donc, c'est très instructif pour ceux qui ne connaissent pas ce pan de l'histoire de l'URSS, ce qui est mon cas.
Mon premier coup de coeur de l'année.
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À l'inverse du premier livre de Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, où la réalité brutale de la dékoulakisation et des déportations de masse en Sibérie préludant à la formation du goulag, prenait, sous les yeux naïfs de l'héroïne, un air de conte oriental, magique, fataliste et envoûtant, son deuxième livre, Les enfants de la Volga, se présente d'emblée comme le conte d'un Grimm maléfique ou d'un Hoffmann cruel (d''ailleurs ces deux célèbres conteurs germaniques donnent leur nom à des personnages du récit...) où la réalité des purges et génocides staliniens fait une irruption tardive, brutale et radicale dans le récit.

Zouleikha ouvre les yeux était l' histoire d'un éveil aux réalités, mais un éveil poetisé par le regard naïf et tendre de l'héroïne jusqu'à ce qu'elle soit à même de se mesurer à elles sans renoncer à elle-même.

Les enfants de la Volga raconte le repli effrayé d'un homme cultivé et averti qui se met le plus longtemps possible-et jusqu'à l'intenable- hors d'atteinte de la violence du monde réel jusqu'à ce qu'il soit happé, noyé, broyé par elle.

Démarche inverse mais qui, une deuxième fois, et avec le même talent, lie intimement L Histoire au Conte.

Rien de moins russe, en apparence, que cette enclave allemande de Gnadenthal sur les bords de la Volga: venus s'installer à l'appel de la grande Catherine, les Allemands russes de la Volga sont pourtant une des nombreuses minorités linguistico-ethniques de la grande Russie.

Rien de moins russe, en apparence, que ce petit village protestant, ripoliné, propret, réglé comme du papier à musique dont Bach (en parlant de musique...) est le Schulmeister méthodique et consciencieux.

Alors, quand Jakob Bach s'éprend de la voix de Klara, son élève invisible, cachée derrière un drap par son père jaloux, (un certain Grimm...), qu'il l'enlève puis part vivre avec elle dans l'isba abandonnée par le père et qui domine Gnadenthal sur la rive opposée et sauvage de la Volga, on se demande quelle mouche a piqué le sage instituteur..

Le désordre du conte s'introduit sur les bords de la Volga, semant épreuves et péripéties.

Rien, ni la violence que Bach observe du haut de son promontoire, ni celle qui vient jusque dans leur refuge frapper sa bien aimée Klara, la blessant à mort, ni la pression montante d'une idéologie qui menace d'engloutir, à son tour, le petit monde coriace de Gnadenthal, ni la famine qui tourmente Bach, devenu père nourricier d'une petite Annetche, ni ce petit khirgize mal léché qui lui enlève, plus tard, le monopole de l' amour de son enfant, ni l'hiver, ni les glaces , ni les loups n'auront raison du repli obstiné de Bach du haut de son Aventin russe.

Il en perd la parole pourtant, il se fait, pour survivre, le chantre des traditions locales, ethnologue malgré lui, et surtout conteur mercenaire: un bossu au visage d'ange, répondant au nom d'Hoffmann, se charge de trouver à chaque conte écrit par Bach son apologue idéologiquement correct.

La défense de Bach est un art de la fugue.

Comme ces personnages de conte liés par un sort à la mutité jusqu'à exécution de leur tâche, il se tait.

Il protège, élève, nourrit, écrit ce qu'on lui demande mais il se tait.

Il voit pourtant, et surtout il craint. Mais il se tait.

Autour de lui disparaissent les idéalistes, les lâches, les rebelles. Lui se tait.

Tandis que, descendu de son train blindé pour une visite surprise à Gnadenthal, un redoutable joueur de billard à moustaches, l'Ogre de la réalité, vient donner un coup de canne fatal dans la petite fourmilière presque paisible et toujours industrieuse de Gnadenthal...

Bach se tait jusqu'à un point de non retour : celui où plus rien ne peut l'atteindre parce qu'enfin, sous les coups de canne de l'Histoire, sa peur le quitte.

Pour le lecteur aussi la fin du conte arrive.

L'heure du descillement. le moment où le carrosse redevient citrouille.

La fin du conte est magnifique, et jamais l'aveuglante réalité n'a été si puissamment, si brillamment, si poétiquement dite. L'épilogue vient mettre quelques points sur les I, mais on avait compris.

Mes larmes coulaient toutes seules, comme celles de Kay quand son coeur pris dans les glaces d'indifférence de la Reine des neiges se dégèle enfin et qu'il comprend qu'il aime Gerda.

J'ai aimé ce petit Schulmeister muet, sa lutte désespérée et héroïque pour ramener à un conte cruel l'abominable réalité. Sa reddition m'a bouleversée plus qu'aucun récit réaliste ne l'aurait fait.

Ne sommes-nous pas, nous aussi, de grands enfants que touche plus fortement l'image que la chose, la fable que la réalité, qu'elle nous donne si vivement à lire?
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