J'ai lu la préface de ce roman après juste une vingtaine de pages de ce récit , alors que je ne lis jamais les préfaces. Pour être honnête, je l'ai même relue après une autre vingtaine de pages … Interloquée par l'écriture, le personnage, les lieux et l'univers Tartare. D'où sortait ce texte : un vintage ressurgi des affres des archives de la censure stalinienne, un imitateur post mortem d
e Gorki ( mais qui aurait été de l'autre bord) ? L'écriture est si descriptive, attentive à tout bien situer dans la maison de l'héroïne qui s'éveille à peine, qu'elle m'a reportée à mes souvenirs de ces grands romans naturalistes que je dévorais, ado ( Gorki, quoi …). le réalisme russe au service de la cause, les paysans englués dans la terre nourricière, les us et coutumes quasi médiévales qui relègue la femme au rang de domestique, l'importance des semences, les réserves de boudins de cheval, les feuilles de bouleau de la Barria, les couches de chaussettes à enfiler dans un ordre bien précis ( en poil, en laine, en fil …). Mais en fait, j'avais tout faux, il s'agit d'un roman récent d'une autrice tartare, une nouvelle voix qui s'attache à retranscrire les temps d'une révolution qui affame les populations et les plie au nouvel ordre politique. La dékoulakisation. C'est à dire la déportation ( le régime disait le déplacement, on connait l
e goût des régimes totalitaires pour les euphémismes) des paysans coupables de crime de propriété.
C'est le cas de Mourkaza, le mari de Zouleika, plus âgé qu'elle, une brute épaisse qui idolâtre sa sorcière de mère, La Goule. Zouleikha, c'est la Cendrillon, soumise à la tyrannie domestique de ce couple, profondément croyante, infatigable, même épuisée, sans une once de révolte en elle. A travers l'énumération de ses corvées domestiques, on découvre un monde rural archaïque dont les exigences de la NEP ont vidé les réserves de blé, de bétail, de tout ce qui aurait pu être caché.
Mais cette fois-ci, ce sont les hommes eux mêmes que les officiers et les troupes de la révolution viennent chercher. Parmi eux, Ignatov, plutôt fringuant et déterminé à mener à bien sa mission pour la grande cause. Il a à peine croisé les yeux verts de Zouleikh, qu'il abat son mari, rétif aux dons spontanés de ses richesses. Voilà la jeune femme veuve et embarquée avec une cohorte d'inconnus vers un camp qui n'existe pas encore. L'odyssée est ferroviaire, avant d'être concentrationnaire.
Les aléas bureaucratiques, incohérents et ubuesques qui jalonnent leur parcours auraient pu être satiriques, mais l'autrice a opté pour une sorte de neutralité descriptive et a doté le pauvre Ignatov d'une conscience. A la tête du convoi, l'officier se ronge les sangs. Ballottés de gares en gares, quasiment décimés par la violence du climat, la faim, les maladies, il ne pense qu'à en sauver les plus possible de ces ennemis de la victoire du prolétariat. Au point d'en devenir un quasi ange gardien.
Evidemment, l'idéalisme, c'est bien pour faire un roman mais quand même, je me frotte un peu les yeux. Ignatov, devenant un héros presque humaniste, Zouleikha, elle, c'est mère courage. Elle résiste à tout. Elle sort de l'obscurantisme au contact des autres déportés, accouche en pleine tempête sibérienne grâce à l'improbable docteur Leibe qui retrouve la mémoire miraculeusement, accomplit sa propre révolution vers une forme d'autonomie, et même laisse la porte ouverte à la sensualité …
La rééducation au Goulag prend presque des allures de camp communautaire où on peut ( avec quelques roueries quand même) accomplir son destin … Je n'ai pas lu
Soljenitsyne, mon admiration pour Gorki a pris un sérieux coup dans l'aile, je ne connais pas beaucoup les oeuvres des écrivains dissidents actuels mais quand même, si
Zouleikha ouvre les yeux, je me demande quand même sur quoi exactement …
Lien :
https://aleslire.wordpress.c..