Ce truc qui gronde dans ma tête me terrifie, admet-elle. Je l’entends de plus en plus fort quand il se met en colère. À certains moments, j’ai l’impression d’atterrir quelque part sans savoir comment j’y suis venue. De me réveiller sans m’être endormie. Je suis en train de devenir quelqu’un d’autre. Et… je crois bien que je m’en fous. C’est ça qui me fait peur.
Tout irait mieux si je n'étais pas prise d'un tel mauvais pressentiment... Soyons honnêtes, je suis littéralement morte de peur à l'intérieur. Plus que la menace représentée par les anges, c'est celle que la Terre nous réserve : le grondement venu de sous le sol, ces parcelles de terre qui s'effondrent sur elles-mêmes, ou le vacarme des tempêtes orageuses en plein mer. Comme si la planète me parlait, agonisante, en proie à la douleur.
Pour la première fois depuis longtemps, cette vision m'arrache un sourire. J'ai un peu l'impression de rentrer chez moi. Ou, du moins, quelque part où je pourrais me considérer comme chez moi. Cette sensation s'accompagne d'un grand soulagement car, il faut bien le dire, vivre seule jusqu'à la fin de ma vie n'était pas vraiment ce que je voulais, au fond de moi. À force de me méfier de tout et de tout le monde, j'en venais à me persuader que mes congénères n'étaient pas dignes de confiance, et que les fuir était la seule solution. À dire vrai, je n'ai jamais été une solitaire. Ni une vraie cynique mais après tout, tout le monde change.
Le silence règne sur Rennes comme s'il en était le souverain. Le paysage qui s'étend sur mes yeux est celui d'une cité brisée. Les immeubles renversés, les rues désertes... Nuances de gris et de sanguine, épais coups de pinceaux à l'encre noire des maisons calcinées. Rares traces de couleurs vives, là où la vie s'efface. Au loin, le soleil poursuit sa course, indifférent au sort du monde. Il va disparaître bientôt, et pour toujours. Et alors? En fin de compte, ce n'est pas si grave. Il est déjà bien généreux de nous donner sa lumière, à nous, cette humanité incapable de garder sa civilisation et sa planète intacte.
Oh que oui, j’ai de la chance. Si, au début, je n’avais pas vu les choses comme ça, je n’ai pas mis longtemps avant de comprendre à quel point cette capacité était précieuse. N’étant ni très costaude, ni franchement débrouillarde, il a bien fallu m’en accommoder. Mais cette sensation au fond de mon ventre quand je les entends venir est synonyme de cauchemar. D’angoisse. Quelquefois, je voudrais ne pas savoir lorsque ces créatures se trouvent à proximité. Ne pas savoir à quel moment le couperet va tomber, ne pas voir la mort débouler.