Étonnant roman écrit par un Japonais installé en Angleterre, naturalisé, s'exprimant en anglais et
Prix Nobel 2017. L'esprit de ce livre, son écriture semblent avoir complètement adopté la marque du pays d'adoption, créant un objet finalement so british !
Imaginez un majordome anglais au service d'une grande maison aristocratique, Darlington Hall, qui prend la plume pour parler de ce qui est davantage une vocation qu'un métier. Mr Stevens écrit avec une distinction sans égale, son style est classique, strict, sobre, à l'image de sa personne, raide, empesée, austère, comme doit l'être un majordome d'une demeure de la noblesse anglaise. Miss Kenton est l'intendante de Darlington Hall, sous ses ordres, mais sachant user vis-à-vis de Stevens de réparties tout à fait appropriées. En réalité, il faut lire entre les lignes et il apparaît que ces deux-là ont des sentiments forts l'un pour l'autre. Mais rien ne se dit, pudeur et obligations obligent. Stevens en particulier fuit, happé par le travail, mais sa frustration ne semble pas l'atteindre. Les mots désir, amour ne sont jamais prononcés. Ce n'est que dans les dernières pages que Miss Kenton évoque ce qu'aurait pu être sa vie avec le majordome. Lequel ne reprend pas le fantasme à son compte, mais semble s'en délecter.
La fidélité du majordome, sa dévotion à sa fonction et à son employeur, Lord Darlington, sont totales. Nous sommes dans les années 1950, dans une province anglaise, mais les souvenirs égrenés par Mr Stevens avec une certaine nostalgie remontent essentiellement aux années 1920-1930. Lord Darlington est un dignitaire du royaume qui reçoit des personnages haut placés et qui milite pour un rapprochement entre l'Angleterre et l'Allemagne. Ainsi von Ribbentrop, conseiller d'Hitler en diplomatie, a ses entrées au domaine. En effet, Lord DDarlington considère que le Traité de Versailles a injustement étranglé la nation vaincue, sur les plans économique et financier.
Au cours de nombreuses pages, le majordome spécule sur le métier, son exécution parfaite, les dogmes qui le fondent, les détails qui lui donnent sa noblesse. Il agrémente sa réflexion de nombreuses anecdotes. Se réclamant de la vieille école, il se pose des questions comme celle de la “dignité“ qui définit le grand majordome et imprègne la fonction des vrais professionnels. Quand Lord Darlington vient à mourir, le domaine est racheté par un riche américain, Mr Faraday, beaucoup moins aristocrate, beaucoup plus léger, avec un goût pour le badinage qui surprend, voire choque notre majordome.
Le “badinage“ revient à la fin du roman, réhabilité par Stevens, qui se rend compte que sa vie personnelle lui a été volée, qu'elle aurait pu prendre un autre cours, s'il avait oser s'avouer ses sentiments pour Miss Kenton. Il met en balance le “badinage“ et la “dignité“, se rendant compte avec une certaine naïveté de ce que le premier a d'intérêt, notamment pour entretenir des relations sociales.
Ce roman, écrit de façon continue avec beaucoup de grâce, distille au long des pages de délicieuses et savoureuses émanations.
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