Le dernier-né de
Kazuo Ishiguro,
le géant enfoui, m'a assez intriguée pour avoir envie de lire les romans plus anciens de cet auteur.
L'univers est totalement différent, c'est celui des majordomes (« butlers ») du début du XXème siècle. Ces coordonnateurs sans lesquels rien ne tournaient rond dans les grandes maisons nanties d'une armée de cuisinières, femmes de chambres, jardiniers, sont incarnés ici en la personne de Stevens, majordome à Darlington Hall. Dans une langue recherchée, voire compassée, celui-ci raconte quelques jours sur les routes au volant de la voiture de son maître, un américain qui la lui a élégamment prêtée. Stevens va en profiter pour revoir Miss Kenton, gouvernante avec laquelle il a gardé une correspondance épisodique, et qui vit à quelque distance. Au détour de la campagne anglaise, des haltes dans les petites auberges ou même chez l'habitant, il revient sur des épisodes de sa vie, toujours liés à celle de Lord Darlington, pour lequel il a travaillé de longues années.
Stevens est un homme des plus sobres et, selon lui-même, plein de dignité. On pourrait même le dire sévère et dépourvu d'empathie. Ses relations avec son père, et avec Miss Kenton, le démontrent bien. Son manque d'humour lui donne le sentiment de ne pas savoir comment réagir face aux plaisanteries de son maître, qui est américain, et d'avoir mieux compris le très britannique Lord Darlington. Lors de son voyage, il n'hésite pas à disserter mentalement, mais longuement, sur la question « qu'est-ce qu'un grand majordome ?», ou « qu'est-ce que la dignité ? ».
Si j'ai pu alors trouver quelques infimes longueurs, lorsque Stevens passe par de nombreux exemples pour tenter de définir son point de vue, j'ai trouvé passionnant le thème du mensonge, ou plutôt de la manière dont on se raconte à soi-même les choses et comment on finit par révérer ces faits comme LA vérité. Stevens a notamment une vision bien personnelle de ses rapports passés avec Miss Kenton et aussi des activités de Lord Darlington entre les deux guerres. Cet arrière-plan sur le mensonge et la vérité est lié ici au thème de la mémoire dont j'ai l'impression qu'il est cher à
Kazuo Ishiguro. J'ai beaucoup aimé la manière fine et nuancée de percer à jour la psychologie de Stevens.
Je n'ai pas vu le film qui a été tiré de ce roman, mais avec Anthony Hopkins et
Emma Thompson, je l'imagine on ne peut mieux, et je pense que ce doit être un très bon film, d'autant plus les errements et réflexions du rigide majordome ne doivent pas être faciles à mettre en images.
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