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Critique de kielosa



Auschwitz !?! Encore ? Et oui, un ouvrage écrit par un auteur espagnol sur la toute jeune juive tchèque, Dita Polachova, qui, à 14 ans, a réussi l'incroyable exploit de faire circuler 8 (huit) livres à un endroit où les livres étaient rigoureusement et absolument interdits.

Antonio Iturbe, l'auteur populaire auprès de la jeunesse avec les aventures de son fameux Inspecteur Petit et son assistant chinois Chan San Peur, est un journaliste, né à Saragosse en 1967, qui a publié d'autres ouvrages pas spécialement destinés à nos tout petits. Il est l'auteur de "La bibliothécaire d'Auschwitz" qui constitue un récit particulièrement émouvant et véridique et qui illustre, à sa manière extrême, comment des livres peuvent signifier un secours à des moments horribles et atroces.

Le livre est sorti en Espagne en 2012 et a été traduit en plusieurs langues, mais pas encore en Français. Peut-être que la maison d'édition Hachette s'en chargera, qui a publié les enquêtes des inspecteurs Petit et Shan ?

Dita Polachova, dans le livre appelée Edita Adlerova ou Dita Dorachova, est née à Prague en 1929. Neuf ans après sa naissance la Tchécoslovaquie a été occupée par l'Allemagne nazie. À 12 ans, notre petite Dita a été envoyée, avec ses parents, au camp de concentration de Theresienstadt, l'actuelle petite ville de Terezin à une bonne soixantaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale tchèque.

Sur la vie au camp "modèle" SS existe un témoignage absolument unique écrit par l'historienne américaine, Ruth Schwertfeger, qui a visité ce sinistre endroit en 1987 et a été si choquée de l'absence d'un véritable mémorial, qu'une fois rentrée à son université du Wisconsin aux États-Unis, elle a publié, l'année suivante, un ouvrage "Women of Theresienstadt" comme son propre hommage aux prisonnières du camp. Il s'agit d'un exquis petit recueil de poésies et extraits de journal intime écrits par des pauvres victimes.

Longtemps la petite Dita n'y est pas restée, car en 1943, les fritz l'ont déménagé à Auschwitz, encore pire. L'année après, elle a été à nouveau déménagée, cette fois-ci au camp de Bergen-Belsen, où le 15 avril 1945, comme Simone Veil, elle a été libérée par les troupes britanniques.

À Auschwitz il y avait un jeune homme de 27 ans Alfred "Fredy" Hirsch, né à Aix-la-Chapelle en 1916, qui a joué sa vie en ouvrant à l'intérieur du bloc 31, où étaient enfermés à peu près 500 enfants, une école clandestine. C'est lui qui a demandé à notre petite Dita d'assumer la responsabilité des 8 livres qu'il gardait caché sous une planche du sol, tout en indiquant le danger de passer directement à la chambre à gaz si elle fut découverte. La gamine, à partir de ce jour, ne devient pas seulement bibliothécaire mais aussi réparatrice des 8 bouquins fort abîmés et aux pages manquantes.

Mais quels peuvent bien être ces livres pour laquelle notre petite héroïne a risqué sa vie ? Je ne vais pas mettre votre patience de grands lecteurs plus longtemps à l'épreuve. Il y avait : 1) un atlas très endommagé, 2) un ouvrage de géométrie élémentaire, 3) une grammaire russe (avec des drôles de lettres, elle trouvait), 4) "Une brève histoire du monde " de H.G.Wells, 5) "Introduction à la psychanalyse" de Sigmund Freud, 6) un roman français dont elle ne comprend pas le titre, 7) un roman russe sans page de couverture et 8) "Le brave soldat Chvéïk" de Jaroslav Hašek.

Elle est très fière lorsque le vieil original Morgenstern, un des enseignants clandestins, s'adresse à elle, en inclinant respectueusement la tête, et en l'appelant "Mademoiselle la bibliothécaire" , en spécifiant que les livres savent tout. Son collègue, le grincheux Lichtenstein, estime que toute cette idée de bibliothèque là-bas est de la folie, mais s'interroge à haute voix : "que n'est pas folie ici ? "

Dita est toujours très contente de récupérer en fin de matinée ou de journée ses bouquins et les inspecte attentivement pour, le cas échéant, réparer de nouveaux dommages. Son assistant le jeune intellectuel Ota Keller trouve qu'elle ne peut présenter les livres de Wells et Freud l'un à côté de l'autre, parce qu'ils sont trop différents.

Dans l'école clandestine du bloc 31, il y a quelques prisonniers qui peuvent citer de mémoire pratiquement des livres entiers, comme mademoiselle Magda l'oeuvre de Selma Lagerlöf "Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède", que même le petit Gabriel qui ne tient normalement pas une seconde en place, écoute patiemment, la bouche ouverte.

Madame Lubbervel s'énerve, lorsque à cause du grand bruit qu'entraîne l'arrivée d'une nouvelle cargaison de malheureux à Auschwitz et l'envoi d'un bon nombre d'entre eux directement du train aux "douches", elle n'arrive pas à expliquer à ces petites élèves, qui commencent à chuchoter entre elles, la différence entre un climat continental et océanique.

Je ne vais pas multiplier les incidences de la mini-bibliothèque de Fredy et Dita sur la vie des résidents de cet univers concentrationnaire, que je vous laisse découvrir.

Je vous signale juste que Fredy a été brûlé au crématorium de Birkenau, le 8 mars 1944. Il avait 28 ans !
Dans son film "Shoah" de 1985, Jacques Lanzmann mentionne cet incroyable héros et plus récemment, en 2016, il a fait l'objet d'un documentaire "Heaven (paradis, ciel) in Auschwitz".

Dita s'est mariée en 1947 avec l'écrivain tchèque Ota Kraus (1921-2000), rencontré à Auschwitz, et vit actuellement, à 90 ans, à Netanya en Israël, entourée de ses fils Peter-Martin et Ronny et de sa fille Michaela.

En fin de volume, il y a une petite liste des personnages principaux, parmi lesquels figurent Rudolf Höss, chef et Josef Mengele, médecin du camp.

L'ouvrage d'Antonio Iturbe m'a énormément plu et j'ai été fasciné de lire ce que des livres peuvent représenter à des gens, certains touts petits, qui n'ont plus rien, même pas de lendemains assurés. C'est une épatante histoire de courage et d'humanité dans un des pires endroits que notre monde a jamais connu. Ou comme Sandrine, "Biblioroz" sur Babelio, l'a si merveilleusement formulé : "Heureusement qu'au plus profond de la noirceur des lueurs humaines scintillent".
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