Soif d'avoir soif.
Et l'eau bue jusqu'à la cécité bleue
des océans érigés en écritoire.
Et l'abondance des mots, à blanc,
jusqu'à l'à-pic dérisoire des pages nues.
Ne rien écrire qui ne soit vu.
Ne rien dire qui n'ait été écrit.
Alors, dans ce silence à couper au regard,
s'abreuver
aux seuls chemins qui se refusent
et s'insoumettre
à l'ordre des choses.
Alors encore, d'immobilisme
renverser le paysage,
se hisser à l'écume des houles annonciatrices
des jours mourants.
La chute d'une hirondelle
n'empêchera pas le retour du printemps.
...Et des mots se cherchent dans ma bouche. Désespérément. Des mots de glaise, d'ocre vif. Ils se rassemblent alors que le silence maçonne entre ciel et terre la paroi abrupte sur laquelle le temps s'écorche. Et moi : les doigts en sang qui ne savent plus écrire les noms d'hier...
J'avoue :
Je suis immobile
dans la mobilité pressante des heures.
Là,
et tout l'espace sur le dos
tout l'héritage
pesant.
Comme si
...mais la mer semble lointaine. Du sable, il ne me revient que l'odeur. Flux qui remonte, à contre-courant, vers l'intérieur.
Terre de rêveries, des amours, des persécutions. L'argile a-t-elle un coeur, et où donc bat sa vie ? J'use les chemins jusqu'à leur frontière faîtière - lieu de l'espace innommé -, là où sans doute le jour reconstitue ses forces.
Comme si le silence assumait tous les vacarmes.
Comme si le silence assumait tous les vacarmes -
... mais les heures qui s'amoncellent ne font pas la montagne ni même la colline. A peine un fardeau de plus sur les épaules. J'avance et j'oublie les chants qui me firent naître. Je voudrais me souvenir : et c'est déjà le reflux... Seuls des noms jonchent ma mémoire, telles ces pierres dispersées par les siècles, sans chair, sans parole.
Arête faîtière II
J'ai érodé les pierres
pour percevoir mon nom.
On ne survit qu'à force de racines.
Naître en amont de l'eau.
N'être.
p.33
Arête faîtière
II
Vertige de ma verticalité.
Aucun désir :
j'ai bu ma soif.
L'avenir est dans le renversement,
le gravi parcouru linéairement
dans le paysage du fond
miroir de mon regard lézardé.
p.25
Arête faîtière
III
Érosion des lèvres à désapprendre.
J'ai dévidé les mots de ma mémoire
rêvant le roc
où écorcher
accrocher quelques lambeaux
d'hier.
L'air s'écoule
au creux d'une combe.
Douleur claire.
Dérive.
Dans l'ombre des chênes survivants,
je ne réponds plus.
p.27
J'ai détissé le temps
et dépossédé mes rêves
de leurs rêves de transhumance.
La chute d'une hirondelle
n'empêchera pas le retour du printemps.
Arête faîtière I
Bouche ouverte
au silence inépuisable.
Seul fracas : les montagnes dévalant leur à-pic.
J'avoue ma chair périssable,
et ma langue déglutit
le passé dénommé.
De mon corps au paysage, toujours,
l'espace désertique des mots.
Il pleut à travers mes os.
p.23