Les nationaux-socialistes, les « nazis », comme les appelle la grand-mère avec mépris, n’ont pas bonne presse dans la famille. Luisa a cru comprendre que c’était parce qu’ils n’appartenaient pas à l’aristocratie. Dans les cercles de la noblesse, dont font partie la grand-mère, sa famille et ses amis, on est très fier de ses ancêtres, des officiers de haut rang qui se sont sacrifiés pour leur patrie à la guerre. Les nobles forment un groupe fermé, ils se marient entre eux. Les fils deviennent officiers ou reprennent le domaine familial – parfois les deux. Du temps de l’empereur, dit souvent la grand-mère, l’aristocratie signifiait encore quelque chose.
Hilde, elle, trouve qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour cela. Le cliquetis de la vaisselle, le brouhaha des conversations, les chuchotis et les rires des clients lui procurent un profond sentiment de bien-être. Elle se sent chez elle au Café Engel. Et puis il y a ces merveilleuses odeurs qui emplissent la salle ! Café fraîchement moulu, parfum de vanille, d’amande amère et de chocolat, soupçon de kirsch ou de cognac, fumée des cigares, et ces effluves d’encre dégagés par les journaux… Tout cela se mêle pour former l’ambiance riche et vivante qui caractérise le Café Engel.
-L'espoir, c'est ce qui meurt en dernier, hein ? réplique-t-il avec un demi sourire .
-l'espoir ne meurt jamais, rétorque Heinz avec une profonde conviction. On ne pourra jamais nous l'enlever.
Mais quel amour est-ce là ? Ce n’est pas la passion, non. C’est l’air dont on a besoin pour respirer. Le calme. L’affection. La confiance. Toute ce qu’on a tendance à considérer comme allant de soi. Mais lorsqu’on en est privé, on ne saurait trouvé le bonheur.