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Critique de Rodin_Marcel


Jaenada Philippe – "La petite femelle" [l'affaire Pauline Dubuisson, 1953] – Julliard/Points, 2015 (ISBN 978-2-7578-6040-3) – 740p. – Photos pp. 724 + 727-733 ; bibliographie pp. 737-738

Comme ajouté en sous-titre, il s'agit d'un dossier visant à reconstituer l'affaire Pauline Dubuisson, jugée en 1953, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais acquis ce livre, pensant y trouver des éléments historiques, sociologiques etc. concernant cette période. Hélas...

Il convient d'être persévérant et motivé pour lire d'un bout à l'autre ce grimoire tartiné sur plus de 700 pages, et ce, pour les quelques raisons suivantes (liste non exhaustive).

L'écriture en est fort rudimentaire : certes, il s'agit d'un ouvrage surtout documentaire, mais l'écriture en est bourrée de tics, truffée de facilités façon almanach Vermot (ces innombrables comparaisons plus idiotes les unes que les autres, exemple de florilège p. 385), en version le plus souvent bien grasse (à supposer qu'il s'agisse d'humour). L'auteur en reste au niveau d'un "et le cul de ma tante, c'est du poulet basquaise..." (p. 421) et dispense ses judicieux conseils aux jeunes générations sous l'étiquette "tonton Philippe" (p. 289) : ça se veut sans doute "sympa".

La lecture de sa prose montre que le sieur Philippe Jaenada est affligé d'un égocentrisme démesuré, à tel point qu'il lui est impossible d'écrire plus de deux pages sur son sujet sans infliger au lecteur l'une ou l'autre (longue) digression portant sur sa propre vie, ses propres opinions, ses propres obsessions. C'est d'autant plus navrant que – parfois – ça se voudrait drôle : ça commence dès la page 31 (et sur deux pages), avec une recension du nombre de fois où l'auteur a utilisé le mot "saucisse" dans l'un de ses écrits antérieurs, qu'il liste avec complaisance, pour le cas où le lecteur ignorerait ces impérissables chefs d'oeuvre.
Son propre nombril étant pour lui le centre du monde, il avoue, dans l'une de ces digressions (p. 120), "Je me demande, en regardant en arrière, ce qu'on épinglerait sur moi" ce "on" reprenant "tous les regards" que le vulgum pecus porte sur une personnalité devenue célèbre, ce qu'on appelle "les peoples".
Plus loin, il s'étend sur l'histoire du slip kangourou et la culotte "Petit Bateau" (pp. 187-188), ou encore sur un genre d'acouphène et son goût pour l'émission Koh Lanta (p. 199) ; il n'aime pas le champagne qui le ballonne, ce qui nous vaut un commentaire sur sa marque de whisky préférée (p. 220) avant d'en venir à l'aveu de quelques frasques (p. 270) : il patauge au niveau de la blague de comptoir, quasiment toujours sous le niveau de la ceinture. le simple fait que son héroïne acquiert un porte-jarretelles – accessoire indispensable à cette époque, reconnaît-il pourtant – suffit à provoquer un allusion douteuse (p. 649).

Ce nombrilisme maladif (aurait-il pris modèle sur le "Cosmos" d'Onfray ?), ce besoin d'étaler sa vie privée, le conduisent à étaler aussi celle des autres, à commencer par ses proches que sont son fils et son épouse (qu'il nomme "ma femme" – comme dans "ma pipe, mon fauteuil, mon chien" – pour reprendre un procédé d'écriture qu'il affectionne).
Ayant pour profession de barboter dans les égouts de la vie privée des starlettes (en p.542, l'auteur révèle qu'il travaille pour le prestigieux magazine "Voici", entre le pipôle et le salace, revue dont il innocente la crasse en p. 672), il brandit la sienne et nous révèle par exemple que – alors qu'ils étaient déjà en couple depuis six mois –, sa compagne Anne-Catherine n'aurait pas hésité à rejoindre "son ex, un photographe à qui je l'avais ingénieusement barbotée" (sic) et à revenir en arborant des traces de sperme d'icelui sur ses seins, nauséabonde anecdote dont il est si fier qu'il la narre deux fois (p. 248 puis rappel p. 558) !!!

Passons sur les propos aussi outranciers qu'idiots parsemés ça et là sur la religion et les gens, hommes ou femmes, qui la représentent, cela fait aujourd'hui partie intégrante de la bien-pensance ordinaire, et trahit la totale ignorance qui est devenue la norme en ce domaine dans la plupart des pays occidentaux, issus de l'héritage chrétien, qui se croient devenus "athées" tout en adorant religieusement le veau d'or. Dans le cas présent, les propos sont d'un tel niveau qu'ils trahissent surtout un certain crétinisme rayonnant d'autosatisfaction (exemples p. 161 ou 346).

Passons sur tous ces points, car l'objectif principal poursuivi par Jaenada en écrivant ce livre consiste à obtenir son brevet inoxydable de mâle occidental affranchi, voire de féministe ardent, avocat émancipateur et chantre de la femme libérée. La démonstration est infligée et répétée jusqu'à plus soif sous les trois aspects canoniques.
- Primo, tous les hommes sont des obsédés sexuels – Jaenada les place tous, et surtout la victime, à son propre niveau d'obsédé de la braguette, qu'il décrète norme universelle.
- Secondo les hommes et "la société" de cette époque poursuivaient avec acharnement l'écrasement des pôvres femmes, ce qui nous vaut les portraits caricaturaux des deux juges Raymond Jadin et Raymond Lindon ainsi que de l'avocat René Floriot et de inspecteur Jean Barrière (p. 445), tous bien évidemment relégués au rang de gros machos abrutis, des "français bas de plafond" héritiers des peuplades germaniques décrites par Tacite (p. 184) – l'auteur applique aux agissements et opinions des gens de cette époque une grille de lecture totalement décalée, reposant sur les préjugés actuellement en cours, que l'auteur prend pour des vérités éternelles ; s'aperçoit-il seulement qu'il se contredit lui-même lorsqu'il est bien obligé de mentionner toutes celles et tous ceux qui viennent défendre l'accusée, toutes celles et tous ceux qui, au Maroc, la soutiendront ?
- Tertio : mais attention, il y avait des femmes libérées avant l'heure, dont Pauline Dubuisson bien évidemment : la malheureuse se voit enrôlée pour illustrer la thèse centrale et simpliste exposée p. 583 : "Pauline a une génération d'avance sur eux" (un grand classique de la démonstration imbécile s'il en est).

L'auteur avait pourtant là matière à tant et tant de réflexions !
La description de l'horrible destinée des habitants et habitantes de la ville de Dunkerque, écrasée sous les bombes du début à la fin de la guerre 1939-1945, aurait pu l'amener à se poser des questions sur la collaboration et le rôle spécifique des femmes dans ce triste processus (dont Pauline Dubuisson constitue un exemple, avec la complicité probable de son père), d'autant plus spécifique qu'il avait déjà été crûment vécu par ces mêmes populations du Nord lors des quatre années d'occupation 1914-1918 (Jaenada ignore tout de cette problématique, car il n'en souffle pas un mot, connaît-il seulement l'affreuse expression "les boches du Nord" – voir l'ouvrage de Nivet ?).
Concernant le sort de ces femmes à la Libération, il aurait pu bénéficier des recherches publiées par exemple par Philippe Frétigné et Gérard Leray dans leur ouvrage "La tondue : 1944-1947" (éd. Vendémiaire, 2011 – voir recension), ce qui lui éviterait de tomber dans des clichés simplistes.

Autre piste possible : il mentionne lui-même, et raconte souvent sur plusieurs pages, d'autres affaires criminelles de même type, dont voici une liste sans doute lacunaire : affaire Yvonne/Pierre Chevalier (qui fait l'objet d'un chapitre entier, avec les mêmes juges Raymond Jadin et Raymond Lindon – 37e chapitre, pp. 518-538) ; affaire Dominici (p. 541), affaire Germaine/Albert Leloy (p. 600), affaire Léone Bouvier/Emile Clénet (p. 606), affaire Ferlut/Paule Guillou/Armande Habasque (pp. 618-626), affaire Jean Ligier/Jackie Richardson (pp. 630-632), affaire Sylvie Paule/Jeanne Perron (pp. 634-641), affaire Albertine Sarrazin, l'auteur de "L'Astragale" (p. 638), affaire Denise Labbé (pp. 643-649).
Il y avait là de quoi procéder à des confrontations intéressantes en exposant justement les points de vue de cette époque, consignés à cette époque dans le vocabulaire de cette époque, ce qui eut été beaucoup plus probant que toutes les fatwas d'un Jaenada !

Encore une autre piste, celle du rôle de la presse à scandale. Là, c'est carrément de la déception ! L'auteur se commettant lui-même aujourd'hui dans ce créneau en vendant sa plume au magazine "Voici", le lecteur est tout à fait en droit d'en attendre des analyses beaucoup plus fouillées que les quelques citations (trop bien) choisies par l'auteur.

Notons enfin la plus pitoyable des occasions perdues d'écrire un bon livre : à plusieurs reprises (dès la page 84), l'auteur mobilise (pour ne pas dire "utilise") ce personnage de Lucette, née en 1928, quasi contemporaine de Pauline Dubuisson (née en 1927) : au lieu de nous bassiner avec ses propres préjugés de piètre émancipateur mâle de la gent féminine, Jaenada aurait mieux fait d'écouter cette femme, et de nous transmettre son témoignage.

En conclusion : au pire, ce livre constitue un témoignage nauséabond du narcissisme abyssal de son auteur, au mieux, il s'agit d'un raté...
NB : n'est en rien comparable avec par exemple les ouvrages de Morgan Sportès.
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