Aujourd'hui dans #ÀLaDernièreMinute Julien nous parle d' , le roman de Patrick Besson.
Qui était Albertine Sarrazin ? La romancière entre autres de ' et de . La braqueuse, prostituée, prisonnière. La femme au destin brisé, morte à 29 ans. La scandaleuse, l'amoureuse, la passionnée. Patrick Bessonlui consacre une biographie à sa manière, infiniment sensible.
Je crois qu'à l'hôpital, on aime assez exhiber ce qu'on a de plus laid : c'est à qui aura la plus effroyable couture, avec le plus grand nombre de points de suture, le plâtre le plus volumineux, l'extension la plus pesante. Et moi, devant Julien, au lieu de jouer de mes mains et de mon visage intacts, je dénude ma peau criblée de trous et de marbrures, et je regrette de ne pouvoir lui montrer aussi ce qu'il y a sous mon plâtre et qui, à en juger par les infiltrations qui colorent le talon, doit être plus saisissant encore.
Le soleil voudrait saigner sans arrêt
Il coupe mon corps de longues aiguilles
Mais l'aube naîtra d'ici partirai
Un jour n'est pas loin nous reconnaîtrons
Ta voix franchit en liberté mes grilles
Tes cheveux encor dansent tes chansons
Je voudrais tant dire et ne parle pas
Car la nuit est froide où sans fin tu brilles
Chut j'écoute en moi l'écho de tes pas
(Poèmes publiés par J.J. Pauvert en 1969)
On tue un corps plus facilement qu'un souvenir. (p.187)
Ce n'est pas ce qu'on connaît de soi qui est lourd: c'est ce qu'on ignore de l'être qu'on aime.
Dormir en ces prairies
Où les cerises sont
Comme de ronds glaçons
A manger non cueillies
Dormir comme angéliques
En un amoureux lit
Le ventre tout rempli
De sèves magnifiques
Dormir au monde indigne
Le laissant au sommeil
Quand vers notre réveil
Les soirs nous feront signes
Dormir avec toi j'erre
Puisqu'ainsi tu m'aimas
De perdre en cinémas
La moitié de ma terre
1960
Ce texte ne figure pas dans le roman , il est ici , juste pour donner un aperçu du talent de l'auteure .
**************VERONA LOVERS**********************
Sur les frais oreillers de marbre ciselé
Où fane un lourd feston de corolles savantes
Se confondent sans fin les amants aux amantes
Qui se sont fait mourir du verbe ensorcelé
Avares du vieillir , Ô vous enviez-les
D'avoir sur le tremplin des extases si lentes
Laissé ce million de minutes naissantes
Et bien royalement le monde tel qu'il est
Cette nuit là comme ils s'aimèrent sans mensonges
Quelque pouce géant dans sa toute bonté
A fait rouler leurs yeux hors des coffres du songe
Cependant que très loin sur les terres bénies
Les violons têtus enchantaient les Asies
Et riaient de tendresse leurs divinités
Je n'aime pas la Télévision, sourire plaqué d'un côté de l'écran, sourires béats et digérants de l'autre. (p.81)
22/9/65
Les prix... bien sûr, M. Pauvert m'avait expliqué le fonctionnement. Je croyais qu'il fallait que l'éditeur propose lui-même ses candidats. L'a-t-il fait ou est-ce automatique, en tout cas les journaux m'ont empelotonnée. Mais ne croyez pas que j'y rêve jusqu'à la névrose pour autant. Je ne pense pas – indépendamment de la grande valeur que j'attribue à mes marmots – que les représentants de l'honnête lisent et la fine farine française élise de cœur enthousiaste et unanime une personne qui, truande ou péripatéticienne ou taularde, trouve ceci tellement intéressant que, loin de le cacher, elle se débrouille pour le faire savoir par des voies et des voix autorisées. Monsieur Pauvert est magnifiquement « souple » et pour ce que je l'aime, mais moi, vous savez... je suis tout à fait fixée sur le qu'en dit-on, je suis parmi les impardonnables, et j'espère me faire vendre seulement parce que je connais aussi la petite curiosité vicieuse qui sommeille en le plus apparemment rigide... J'ai lu quelque part l'histoire des bouquins de Violette Leduc, le tirage se joue quelquefois de ces consécrations, ne parlons pas de la mère Sagan, je ne suis pas Sagan, je m'en voudrais.
2575 – [Le Livre de poche n° 5134, p. 108-109]
Que ce réveil tourne lentement ! Le drap colle à ma poitrine, m’oppresse un peu. Je voudrais dormir, être minéral, être bloc autour de mon cœur qui bondit et court devant moi : choisis-la, Julien la route qui est à moi, sautes-y à pieds joints et que je porte à jamais chacun de tes pas.
À nouveau je marche, mes pieds sont ocrés de poussière, et les gens que je côtoie m’enveloppent, me portent, me bousculent sans me gêner, comme des vagues ; je marche, passive, ni gaie ni triste. L’ardeur du soleil s’emmagasine en moi, sans irradier encore : je remonterai bientôt vers les froidures, j’aurais besoin de mon stock.
Avec ma patte, je ne peux plus marcher sans semelles : la plante du pied est dure et cornée, mais elle est devenue sensible comme une muqueuse, la moindre poussière de caillou la perce de douleur. Ma jambe n’est plus la demi-base sûre de mon équilibre, chaque pas est un simulacre, une chute rectifiée ; que je cesse de penser à ma démarche, et aussitôt je me surprends à clopiner et à poser le pied de travers, sous l’angle laissé par le moule de plâtre « en léger équin » disait le dossier.
Marche droit, Anne : si l’on te questionne, jamais cet accident ne doit transparaître, ta patte menace de prison ceux qui l’ont sauvée. Mais… Comment se rappeler la prison, ici ? Comment même y croire ? Ici, tout le monde semble déguisé, et la police omni-présente laisse tranquille la foule à laquelle je ressemble, avec mon chapeau de pacotille et mes lunettes noires.