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Critique de Woland


Traduction : Denise Meunier

ISBN : 9782253139058

Cette "enquête historico-policière" comme la définissaient leurs auteurs est un livre tout à fait à part qui n'appartient pas plus à la catégorie des romans qu'à celle des essais. A la limite, ce serait l'équivalent livresque d'un documentaire filmé la caméra à l'épaule, entremêlé de reconstitutions avec comédiens pour les points qui demeurent dans l'ombre. Elle pourrait aussi porter pour sous-titre "L'Affaire John Williams" si, en dépit de l'immense talent que Thomas de Quincey a mis à nous démontrer que l'assassin n'avait pas de complice et qu'il s'agissait bel et bien de Williams, le lecteur qui arrive au bout du livre de James et Critchley en est nettement moins convaincu. Disons les choses sans façons : il est même carrément sceptique.

Sans vouloir revenir sur les qualités profondes que je trouve à "De l'Assassinat Considéré Comme Un Des Beaux-Arts" et dont la seconde partie parle de la deuxième et dernière série d'assassinats dont on accusa John Williams, je suis obligée de convenir que l'enquête de James et Critchley a beaucoup, beaucoup ébranlé mes convictions. Il faut bien dire que, dans son essai, résultats de ses prises récurrentes d'opium ou tout simplement du plaisir d'avoir trouvé une théorie à exposer, De Quincey omet beaucoup de faits qui, remis à leur place, changent peu à peu le climat de l'affaire. Il a une théorie à défendre et il la défend un peu comme, un siècle plus tard à peu près, l'Américaine Patricia Cornwell s'acharnera - dans un ouvrage d'ailleurs passionnant - à prouver qu'elle est la seule à avoir découvert la véritable identité de Jack the Ripper.

Avec P. D. James (oui, la créatrice, dans la fiction policière, du célèbre Adam Dalgliesh), rien de semblable. Non sans courage et avec beaucoup de détermination, elle reprend, avec son collaborateur T. A. Critchley, deux séries de crimes atroces qui se produisirent à Londres à la fin de l'année 1811, et les détaille, parfois avec quelques longueurs et une minutie qui déplairont à certains, à un lecteur d'abord intrigué, puis passionné. Tout d'abord, le point commun est, dans les deux cas, que deux familles sont visées. Dans le premier, celui de la famille Marr, celle d'un ancien marin de 24 ans qui s'était fait charpentier et avait monté commerce à Ratcliffe Highway, il n'y a aucun survivant et, fait particulièrement épouvantable, le ou les meurtriers n'hésitent pas à égorger un enfant de trois mois, littéralement au berceau. Dans le deuxième, chez la famille Williamson (aux membres plus âgés et dont parle De Quincey ), l'enfant est nettement plus grand : c'est une fillette de dix, douze ans et elle ne devra sa survie qu'à la chance, l'agression étant signalée alors que le ou les malandrins allaient probablement lui régler son compte.

Deuxième point commun : si l'on pense bien sûr au vol comme mobile, rien, sauf peut-être une somme minime chez l'un ou chez l'autre, ne se trouve dérobé. Tuer un père, une mère, un vendeur, un bébé de trois mois pour aboutir à un tel résultat, même si l'on veut bien admettre que le ou les assassins ont été dérangés par le retour de la servante et l'intervention du guet, c'est quand même une fameuse ambition (si l'on peut dire) pour un résultat bien modeste . Chez les Williamson, le père, la mère et la servante sont tués. le commis parvient à s'échapper et c'est justement lui qui, en donnant l'alarme, empêche le meurtre de la petite Catherine. Là non plus, pas de vol à grande échelle. Mais là non plus, pas de vol.

Forcément, nous dira-t-on : il eût fallu frapper à coup sûr et s'assurer que tous les habitants des maisons choisies étaient au lit ou trop faibles pour se défendre. Agir de cette manière, c'est l'oeuvre d'un fou ou d'un psychopathe. Ca peut marcher en pleine campagne mais dans un Londres qui, à minuit, une heure de matin, grouillait encore de noctambules, c'était voué à l'échec.

Et la fameuse question arrive : pour maîtriser une famille entière avec ou sans domestiques, il faut au moins être deux. Les empreintes que l'on trouvera derrière la maison des Williamsons prouvent clairement qu'il y avait en effet deux coupe-jarrets. Pour Marr, c'est moins clair mais cela coule de source. Or, si De Quincey a fait tout ce qu'il pouvait pour prouver qu'il n'y avait qu'un seul responsable, en tous cas dans l'affaire Williamson, les juges de l'époque n'ont pu prouver mieux.

Certes, ils ont essayé. Ils ont arrêté et mis en garde à vue à tour de bras. Ils ont interrogé jusqu'à plus soif. Et ils ont aussi relaxé, avec une lassitude qui, pour P. D. James et T. A. Critchley, prouve, à un certain moment, que de grandes pressions furent exercées sur eux afin qu'ils laissassent filer les bons poissons. Seul resté blogué dans la nasse : John Williams, un joyeux drille, marin de son état, un peu trop familier, c'est certain et pilier de bar certifié, qui demeure une véritable énigme. A-t-il eu vent par hasard des projets d'assassinats et, du coup, l'aurait-on chois comme "bouc-émissaire" ? Au début, était-il d'accord mais l'égorgement du petit Marr l'a-t-il tellement horrifié qu'il a décidé de retirer ses billes ? Dans ce cas aussi, il fallait se débarrasser de lui ...

Et, fait incroyable, tout un lot de preuves, de ce qu'on appelle des "ouï-dire" qui ne seraient pas retenus au dossier aujourd'hui, tout un lot de témoins qui ne disent pas trop de mal de lui, non, pas vraiment mais qui, tout de même, rappellent tel ou tel fait "bizarre" sur le comportement de Williams, tout cela se lève en même temps contre lui, telle la pire des tempêtes. Il est emprisonné mais il n'y a aucune preuve directe. Et puis, pour certains juges, cette histoire de la solitude supposée de l'assassin dans deux meurtres englobant à chaque fois au moins trois personnes, continue à être bien gênante.

Alors, coup de théâtre - et voyez comme les choses s'arrangent - John Williams est retrouvé pendu par un mouchoir à la tringle (il y en avait une) de sa cellule, là où les prisonniers mettaient leurs vêtements et, quand on nettoyait les locaux, leur literie. Pendu, les yeux grands ouverts, avec des ecchymoses sur les bras et les poignets, un homme qui, la veille encore, plaisantait avec ses gardiens.

Les magistrats, le lord-maire, les Honorables membres du Parlement et même le Premier ministre sont soulagés : accablé de remords, l'assassin des Marr et des Williamson s'est suicidé - l'affaire est close et force reste à la Justice. S'ensuit un incroyable cortège funèbre où, devant tout Londres, le cadavre du défunt est emmené solennellement à un carrefour pour y être enterré après qu'on lui ait enfoncé un pieu dans le corps. On ajoute de la chaux vive et on remet les pavés et hop ! Ponce Pilate peut aller se laver les mains.

Quant à deux autres prisonniers "intéressants", Hart et surtout Ablass, le seul qui correspondît physiquement à la description du criminel aperçu par un témoin (il mesurait plus d'1, 80 m), Ablass, qui avait navigué avec Williams et avait pu, lors d'une tentative de mutinerie, se sentir trahi par lui - Hart & Ablass sont relaxés et on n'entendra plus jamais parler d'eux ...

A ce stade, on en arrive, comme les auteurs - et c'est bien naturel - à se demander si, d'une façon ou d'une autre, Williams (qu'il ait eu connaissance de l'intention de commettre les crimes ou pas), n'est pas finalement la huitième victime de l'histoire. Ni James, ni Critchley ne l'absolve à cent pour cent et tous deux pensent visiblement qu'il savait quelque chose. Mais quoi ? Quel rôle exact a-t-il joué s'il en a joué un ? En tous cas, impossible qu'il eût été le psychopathe - portrait d'ailleurs admirable pour l'époque - qu'en dressera plus tard De Quincey et encore moins qu'il eût agi SEUL. D'autant que, si Ablass, lui, possédait une carrure de brute, Williams, lui, n'avait rien d'un athlète ...

"Les Meurtres de la Tamise", de P. D. James et T. A. Critchley sont à recommander chaudement à tous ceux qui s'intéressent aux grandes affaires criminelles, résolues ou pas - et celle-ci, nombreux sont ceux qui le pensent aujourd'hui, ne le fut pas. En parallèle, lisez aussi l'excellent "De L'Assassinat ..." car, malgré les erreurs de son auteur, on y découvre une analyse fulgurante, plus que moderne et quasi visionnaire de la personnalité du Psychopathe-type.

Et si, par hasard, vous entendez parler d'un troisième ouvrage traduit en français sur la question ... nous sommes preneurs ! ;o)
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