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Citations sur Les Meurtres de la Tamise (16)

[...] ... Le cortège se mit en branle dans un silence impressionnant. La crainte du ministre de l'Intérieur de voir la foule s'emparer du corps et se venger sur lui se révéla sans fondement. Tous les récits contemporains signalent ce calme étrange et inattendu. Le corps si frêle était gardé comme s'il risquait de reprendre vie pour bondir souvent et tomber sur ses persécuteurs. Mais ni les sabres d'abordage brandis ni la phalange des veilleurs ne furent nécessaires. Personne n'essaya de porter une main violente sur Williams. Pas de hurlements, d'exécration, de cris injurieux. Pourquoi cette réserve contre nature ? Difficile de croire qu'il s'agissait de pitié pour le mort. Bien peu, voire aucun des assistants, doutaient d'avoir sous les yeux l'assassin des Marr et des Williamson. Bien peu, voire aucun, étaient écoeurés par cette exhibition publique du corps, ou indignés par la honte qui l'attendait. Etait-ce une sorte de crainte respectueuse qui les rendait muets ? Partageaient-ils l'émotion que Coleridge confiait à De Quincey quelques mois après le crime : "Pour sa part, bien qu'habitant Londres à l'époque, il n'avait pas été gagné par la panique ambiante. Les assassinats ne l'avaient affecté que comme philosophe, le plongeant dans une profonde rêverie sur la puissance effrayante mise en un instant à la portée de n'importe quel homme qui peut accepter d'abjurer toute retenue si dans le même temps il est totalement dénué de peur." Le silence était-il celui de la stupeur devant ce corps si frêle qui avait pu commettre tant d'horreurs ? Ou la foule était-elle pétrifiée en constatant que le monstre qui avait ajouté le suicide à ses crimes abominables [= rappelons que, en Angleterre, le suicide était considéré et puni comme un crime] pouvait avoir un visage aussi humain ?

La cavalcade descendit lentement Ratcliffe Highway jusqu'à la boutique des Marr et là, s'arrêta. Au moment où la charrette s'immobilisa, la secousse fit tourner la tête de Williams comme s'il ne pouvait supporter de regarder la scène du massacre. Un homme de l'escorte grimpa sur la charrette et, d'une main ferme, disposa le corps de façon que les yeux morts parussent épier dans la maison les ombres inquiètes de ses victimes. Au bout d'une dizaine de minutes, le cocher fouetta son cheval et le cortège repartit. De tous les défilés que Londres avait connus dans sa longue histoire souvent bien sombre, rares ont dû être ceux qui égalaient dans le bizarre et le macabre cette parade du 31 décembre 1811 : un cadavre vieux de quatre jours promené dans les rues minables du Wapping bordant la Tamise. Le corps encore dans ses atours de pacotille souillés par la prison, la jambe gauche dans les fers, la grossière charrette avec sa plate-forme ajoutée à la hâte, l'unique cheval au pas traînant, tout cela faisait un contraste sinistre avec les rangs de l'autorité prétentieuse qui escortait ce corps solitaire jusqu'à son ignoble tombe. ... [...]
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[...] ... Pas de réponse. Murray, qui répugnait toujours à violer l'intimité de la chambre conjugale d'un voisin, descendit précautionneusement l'escalier en tenant le chandelier bien haut et entra dans la boutique. C'est alors qu'il trouva le premier corps. L'apprenti, James Gowen, gisait juste derrière la porte menant à la boutique, à moins de deux mètres du pied de l'escalier. Les os de son visage avaient été brisés par une grêle de coups ; la tête, dont le sang coulait encore, était réduite en bouillie, du sang et de la cervelle avaient jailli jusque sur le comptoir et pendaient même du plafond, horrible excroissance. Pendant un moment, Murray, pétrifié par le choc et l'horreur, ne put ni crier ni bouger. La bougie tremblait dans sa main, jetant ombres et lumières sur la chose à ses pieds. Puis, avec un gémissement, le prêteur sur gages tituba vers la porte et constata que son chemin était barré par le corps de Mrs Marr. Etendue à plat ventre, le visage près de la porte de la rue, le sang coulant encore de son crâne défoncé.

Murray parvint pourtant à pousser le battant et haleta la nouvelle, affolé, incohérent : "A l'assassin ! A l'assassin ! Venez voir le crime qui a été commis ici !" La petite foule à l'extérieur, grossie désormais par l'arrivée de voisins, puis d'un deuxième veilleur, se rua dans la boutique, puis s'arrêta. Pétrifiée d'horreur. Margaret Jewell se mit à hurler. Gémissements et cris faisaient vibrer l'air. Il ne fallut que quelques instants pour découvrir une autre tragédie. Derrière le comptoir, à plat ventre lui aussi et la tête près de la fenêtre, le corps de Timothy Marr était étendu. Quelqu'un s'écria : "L'enfant ? Où est l'enfant ?" et l'on se précipita au sous-sol. Là, le bébé, encore dans son berceau, avait un coin de la bouche fendu par un coup, le côté gauche du visage défoncé et la gorge tranchée au point que la tête était presque séparée du tronc.

Le coeur soulevé par tant d'horreur et de brutalité, presque mort de frayeur, le petit groupe remonta jusque dans la cuisine désormais encombrée et éclairée par de nombreuses chandelles. Serrés les uns contre les autres pour se protéger, ils regardèrent autour de la pièce. Là, sur la partie du comptoir que le sang et la cervelle de James Gowen n'avaient pas éclaboussée, ils virent un ciseau qu'ils prirent avec répugnance, les mains tremblantes. Il était parfaitement propre. ... [...]
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Le 27 décembre, alors que dans Ratcliffe Highway la terreur était au paroxysme, John William Ward pouvait écrire à un ami :

"Ils ont une police admirable à Paris, mais ils la paient assez cher.

Je préfère avoir une demi-douzaine de gorges tranchées dans Ratcliffe Highway tous les trois ou quatre ans que d'être soumis aux visites domiciliaires, mouchards et tout le reste des inventions de Fouché."
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Il y eut là une réaction nationale épouvantée à laquelle il est difficile de trouver un équivalent dans toute notre histoire.

Pour le passé le plus récent, peut-être devons-nous rappeler à l'étranger le choc provoqué aux États-Unis par l'assassinat des Kennedy et de Luther King.

La nature des crimes et l'importance des victimes sont très différentes, mais dans les deux cas la réaction psychologique du pays a été remarquablement similaire.

En Angleterre à ce moment-là, comme en Amérique bien des années plus tard, les hommes eurent l'impression qu'une société qui ne pouvait empêcher des crimes aussi abominables devait être elle-même pourrie jusqu'au cœur.
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De tous les défilés que Londres avait connus dans sa longue histoire souvent bien sombre, rares ont dû être ceux qui égalaient dans le bizarre et le macabre cette parade du 31 décembre 1811 : un cadavre vieux de quatre jours, promené dans les rues minables du Wapping bordant la tamise.
Le corps encore dans ses atours de pacotille souillés par la prison, la jambe gauche dans les fers, la grossière charrette avec sa plate-forme ajoutée à la hâte, l'unique cheval au pas traînant, tout cela faisait un contraste sinistre avec les rangs de l'autorité prétentieuse qui escortait ce corps solitaire jusqu'à son ignoble tombe.

On a estimé que plus de dix mille personnes assistèrent à ce spectacle.
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L'imminence de la mort rend le plus nul d'entre nous intéressant pour ses semblables (...).
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Mais si les exécutions à Newgate étaient plus expéditives et plus humaines, la foule qui y assistait était la même que celle qui avait rendu hideux le long purgatoire entre Newgate et Tyburn.

Elle se rassemblait depuis le petit matin pour se poster aux bons endroits, riches et pauvres, voleurs et bourgeois, hommes, femmes et enfants qui passaient le temps avant le commencement du spectacle en rires, bavardages, plaisanteries grossières, menus larcins ou colportages de marchandises diverses.

Certains venaient par pitié, la plupart par curiosité morbide et d'autres encore parce que peu de spectacles les fascinaient autant que celui d'un être humain dans les affres de la mort.

Le déplacement de la scène de Tyburn à Newgate avait sans doute, comme l'écrit un chroniqueur de ce dernier quartier, raccourci le spectacle et diminué la surface du plateau, mais enfin le divertissement restait aussi populaire.
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Rares étaient ceux qui doutaient que Williams fût désormais en train de recevoir le traitement qu'il méritait dans l'autre monde.
Mais la punition divine, bien que sûre, était invisible et la contemplation du feu de l'enfer n'apaise guère la soif de revanche.
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Le témoin à décharge suivant, John Martin, fut alors appelé.

Q. Êtes-vous catholique romain ?
- J'ai passé la plus grande partie de ma vie au service de Sa Majesté.
Q. Quelle est votre religion ?
- Oui, Monsieur, j'ai été bien longtemps au service de Sa Majesté.
Q. Allez-vous à la messe, ou à un culte ? Où est-ce que vous allez ?
- Je ne vais à rien pour le moment.
Q. Êtes-vous papiste ? Je ne dis pas cela comme un reproche.
- Je ne sais pas ce que c'est qu'un papiste.
Q. Qu'est-ce que vous faites ?
- Je suis un vieux soldat, ou du moins ce qu'il en reste.

Et ainsi de suite.
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Une humidité glacée venue de la Tamise ensevelit Wapping, bien assortie à l'état d'esprit d'innombrables familles terrifiées qui s'entassaient à la recherche de chaleur et de sécurité dans la sinistre jungle à l'ombre du grand dock avec une seule pensée qui les hantait : Williams était-il le seul assassin ? Quand allait-il être pendu ? Serait-il exécuté seul ou avec d'autres ? Quel spectacle ce serait alors ! Le plus grand depuis Patch, le plus grand de tous les temps.
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