Roy Grace, tome 12 : Toucher mortel

Pour la plupart de ses missions, il n’avait même pas besoin d’ouvrir son bagage. New York faisait figure d’exception. Il avait poireauté là-bas trop longtemps à cause de ces connards de Russes.
Ici, il était le seul maître à bord. Ce serait juste lui et cette femme qui se croyait plus maligne que les autres. Alors qu’elle ne l’était pas du tout. Elle s’était fiancée à un escroc ruiné, puis avait eu la bêtise de voler quelque chose qu’elle ne pourrait jamais revendre. Et qui allait signer son acte de mort.
Une mort désagréable.
Les mises à mort agréables, ce n’était pas son truc.

Pour survivre, il faut suivre les conseils de Kaa, le python du Livre de la Jungle : "la vie n'est pas une question de chance. C'est une question de choix." J'ai fait mon choix et ça se passe plutôt bien.

Dix ans plus tôt, tous les enquêteurs aimaient leur boulot. Aujourd’hui, ils étaient trop nombreux à partir en retraite anticipée, à voir leur promotion gelée, à marcher sur des œufs pour ne froisser personne. Tout le monde avait désormais peur de dire le fond de sa pensée ou même de blaguer, alors que l’humour leur permettait de faire face à l’horreur.
D’un autre côté, les forces de police étaient devenues plus tolérantes, moins sexistes et moins racistes, et il y avait moins de corruption. Les avantages n’étaient pas négligeables. Grace aimait encore son boulot et il essayait de ne pas se laisser miner par les aspects négatifs. Mais en janvier, quand il avait eu du temps pour lui pendant sa convalescence, il avait réfléchi pour la première fois en vingt ans de carrière à une éventuelle reconversion. Sauf qu’au fond de lui il savait que rien n’égalerait la satisfaction qu’il ressentait quand il bouclait une enquête.

— Tu sais ce que je dis à tous mes officiers, Roy ? N'essaie pas d'être la copie de quelqu'un. Essaie d'être la meilleure version de toi-même.

Même s’il n’était pas hermétique aux approches intuitives, Roy Grace était, au fond, un homme extrêmement méthodique. C’était d’ailleurs une qualité qu’il admirait et respectait chez ceux et celles qui l’avaient formé, et qu’il recherchait chez ceux et celles qu’il recrutait. C’était un homme d’habitudes, qui n’aimait pas les changements, qu’il trouvait déstabilisants.

Partout où je vais, les gens se moquent de moi tellement je suis laide. Je me fais traiter de monstre. Mon nez est horrible. J’ai vu mon reflet dans la vitre du bus qui m’emmenait au bahut. Ce n’est pas un nez, c’est un bec crochu.

Après mon premier divorce, j’ai épousé ma seconde femme, Karin, qui était beaucoup plus jeune que moi. Je pensais que nous resterions ensemble toute notre vie. Mes enfants et mes cinq petits-enfants l’adoraient. Un jour, il y a deux ans environ, elle m’a soudain annoncé, dans un restaurant : « Avec toi, j’ai l’impression d’être vieille. »

Elle était arrivée la veille de Brighton, pour se ressourcer, jouer au Black Jack et trouver le nouvel homme de sa vie. Le genre d’homme qu’elle recherchait : âgé, esseulé, gentil. Quelqu’un qui serait touché par ses attentions. Mais surtout, quelqu’un de riche, très riche.
Ce voyage était un investissement, tout comme ses abonnements à de multiples sites de rencontres haut de gamme.
Elle avait choisi le Black Jack parce que c’était un bon moyen de discuter avec les autres joueurs, et il y avait beaucoup de passage. Elle avait appris les règles, lu des livres et compris quelques trucs. Il n’y avait pas de stratégie pour gagner à tous les coups, mais elle en connaissait une pour jouer des heures, sans perdre trop d’argent. Ce qui lui permettait de cueillir les hommes qui croisaient sa route.

Walt n’aimait pas les petites économies. « Quand on achète pour pas cher, on achète deux fois », avait-il l’habitude de dire. Il aurait été fier du prix de cette merveille, ultime petit plaisir !