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Critique de CorinneCo


C'est une chevauchée désespérée. Une symphonie profonde, mélancolique, ample qui lentement s'envolerait dans les ombres. Un chant mystérieux et douloureux.
Cette symphonie, Drago Jancar l'écrit pour Veronika Zarnik, mais pas uniquement. Veronika est un souvenir chaleureux et dérangeant. Que lui est-il arrivé ? Tous ceux qui se posent cette question dans ce livre, le savent, mais aucun ne veut l'admettre. Aucun ne veut regarder au fond de lui sa par de responsabilité, sa part d'abîme. Ce sont tous des âmes grises. Ce roman est parcouru par la grisaille, par les nuances de gris. Ce gris de l'âme qui interrogeait Primo Levi, le tourmentait même. Là où le tranchant du blanc et du noir n'existent plus.
Le souvenir de cette femme libre les ronge tous, tel un acide vivifiant et impossible à enlever. Même si dans un coin de leur mémoire chaque protagoniste porte le poids de sa mort - car elle est morte n'est-ce-pas ? - chacun la cajole comme un petit ange gardien. Et à l'aune de leur responsabilité et leur conscience, lui fait une petite place dans son coeur.
Peut-on s'absoudre en temps de guerre du poids des autres ? du poids de leur jugement, de leur engagements, de leur idéologie, pour vivre comme si…. Veronika et son mari Léo vivent comme si la guerre ne pouvait pas crever leur bulle de vie. Et encore plus que la guerre, les convictions des uns et des autres, les conventions de l'époque. Ce sont des harpies que ces deux êtres presque naïfs tiennent à distance. Pour moi, ce sont, encore plus que la guerre, elles, qui ont tués Veronika et son mari Léo.
Veronika est une femme « moderne », fantasque, naïve, on peut la voir aussi avec une certaine frivolité. C'est une femme qui aime et qui est aimée, trop aimée. Elle semble aussi aimer tout le monde. Mais on ne peut pas aimer « tout le monde », surtout en temps de guerre ? Elle croit peut-être trop en quoi ? en l'humanisme de chacun ?
Comment elle et son mari peuvent-ils se croire protégés ? Ne sentent-ils pas la mouvance du danger qui rôde autour d'eux ? Veronika ne peut-elle percevoir que son attitude vis-vis des hommes peut être mortifère pour elle et son entourage ? Susciter un désir qui se meut en jalousie, en haine ? Mais les coeurs exaltés sont-ils prudents ?
Veronika Zarnik et son mari Léo ne sont pas des personnages simples. Ils sont au contraire très complexes. Leurs envies, leurs motivations, leur conscience ont des strates souterraines. Sont-ils des révélateurs de consciences ? Sont-ils juste des feux follets qui vont s'éteindre subitement ? Tout peut être dit et tu à leur sujet.
Ils sont, en tout cas, une certaine incarnation de ce qu'était la "Mitteleuropa ". Un monde qui va s'effacer, s'engloutir, se désagréger. Pour cette raison j'ai pensé à Joseph Roth. J'ai aussi songé à Jorge Semprun, lors du récit de Horst Hubermayer, le médecin militaire allemand. J'ai pensé à son récit, dans « Le grand voyage », de sa conversation avec un soldat allemand (qui durera jusqu'au départ de celui-ci pour le front russe) à la prison d'Auxerre où il était détenu. Et bien sûr, j'ai pensé à Semprun lors du récit d'Ivan Jeranek le partisan communiste, pour des raisons évidentes.
Les deux femmes (la mère de Veronika et la domestique) sont l'accompagnement innocent et virginal de Veronika et de son mari. Elles en font des images inviolables et éternelles d'innocence et de bonté. Mais de part leur récit, les marches de l'absence sont plus dures.
J'aurai voulu que Stevan Radovanovic – Stevo – soit plus présent. J'aime beaucoup ce personnage. Son côté hiératique, presque buté. le plus lucide ? Cette rage rentrée, sans illusion, désespérée, est belle. Son amour s'écroule, son monde s'écroule et peut-il rester debout ? Veronika l'aimait-elle vraiment ? Ou était-ce l'illusion de l'amour ? L'emportement de la nouveauté ? de la transgression ? Car, après tout, n'est-il pas qu'un officier de cavalerie... Peut-il s'en sortir ? Je ne peux passer sous silence le lyrisme contenu et magnifié de l'évocation des chevaux.
Cette polyphonie de souvenirs est belle et poignante.
Le livre de Jancar est un récit poétique, parlant d'amour, de rêves, de guerre, de liberté, de regrets, d'un pays déchiré, vivant, insolant. C'est un écho qui se prolonge longtemps dans la mémoire. L'écho des montagnes surplombant le manoir de Podgorsko.
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