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Citations sur Cette nuit, je l'ai vue (49)

Le voile de l'oubli s'étend lentement sur le passé et sur mes souvenirs . Sur ma tête, il y a ces cheveux gris que je n'avais pas il y a cinq ans. Et quand je me regarde dans le miroir, je sais : ma vie a basculé de l'autre côté, du côté où sont tombés mes camarades, morts dans les marécages d'Ukraine, dans les chemins boueux de forêt, en Slovénie, là où, dans une embuscade, les balles des partisans ont fusé, fracassant les vitres des voitures et les visages, dans les plaines de Lombardie que nous avons traversées en quarante-cinq pour nous retirer vers les Alpes. Alors la mort frappait et détruisait avant d'aller guetter ailleurs. Cependant je ne la sentais pas comme maintenant, maintenant je sais qu'elle est en moi, dans mon corps qui claudique dans l'appartement et pendant les promenades matinales dans le parc où les oiseaux chantent très tôt le matin, où les insectes d'août bourdonnent quand je reviens, et ensuite dans la rue où les mains persévérantes des jeunes gens remplacent les briques et les poutres, murent des fenêtres et des portes, où on entend aussi des rires, des cris d'encouragement. Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout. Et qui me réveille au milieu de la nuit et me fait savoir qu'à chaque souffle, à chaque pas claudiquant de la salle de bains au lit, j'avance vers son néant. La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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Ce ne sont pas les choses qu'on a faites qui nous accompagnent mais celles qu'on a pas faites. Qu'on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu'on a pas faites.
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De temps à autre, des lettres qui donnaient du mal au postier de Poselje, car l'adresse était en cyrillique, troublaient la vie tranquille de Podgorsko. Véronika ne les ouvrait pas. Mais ses mains tremblaient quand on les lui remettait. Ensuite, elles restaient sur la petite armoire du salon jusqu'à ce que Jozi les jette. Je comprenais qu'elle ne pouvait pas ouvrir les lettres de Stevo. Quand un jour on coupe, on coupe avec tout. Mais je savais que ça n'était pas facile pour elle. Elle l'aimait toujours. Peut-être craignait-elle qu'en un instant tout lui revienne si elle ouvrait une de ces lettres, peut-être avait-elle peur de se retrouver soudain dans une gare.

Page 83 - (Toujours un quai de gare! Que d'images projetons-nous dans une gare!)
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La vie continue, certains restent derrière.
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Quand je suis seul, parfois j'ouvre un livre, je me verse un verre de vin et je m'assois parmi mes camarades qui sont sur le mur, j'écoute les chants de partisans que j'ai enregistrés et ça me fait du bien et du mal en même temps, c'est ce que mon fils ne comprend jamais, que ça me fait du bien et du mal en même temps.
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Maintenant je suis à Palmanova. Je regarde mon visage dans le miroir recollé, une partie de mon visage. Pour mon âge, j'ai eu très tôt les tempes grises. Il me manque une dent devant, ça fait vraiment laid ce trou et mes lèvres coupées autour. C'est un vrai miracle, je n'ai été blessé qu'une fois, juste à la fin, quelque part au-dessus d'Idrija, avant qu'on se replie dans la plaine du Frioul. Avant qu'on se retrouve dans ce camp de prisonniers, nous les combattants d'hier, côte à côte, aujourd'hui seulement prisonniers, grande foule de vingt mille soldats et officiers qui hier encore guerroyaient, mais qui, aujourd'hui, battent le pavé autour des baraques et entre les tentes. Armée vaincue. Armée de débâcle. Armée sans État. Avec la photo de son jeune roi sur le mur de la baraque, du roi qui n'était nulle part quand on se battait pour son royaume et qui, maintenant que son armée est en captivité, se promène avec son chien dans un parc de Londres. Ou boit du thé. Ou écoute à la radio les nouvelles du dernier discours de cet espion russe qui porte le nom bizarre de Tito, de ce caporal autrichien, de ce moujik croate qui a emménagé dans la maison royale de Dedinje. Quand je passe devant la photo du roi, je regarde par terre. Si je le regardais dans les yeux, je devrais lui demander où il était quand, nous, ses soldats, on pataugeait dans la boue et le sang. Son grand-père , son père, tous les deux avaient accompagné leur armée quand il l'avait fallu, emmitouflés dans leur capote en plein hiver balkanique entre les canons et les chevaux. Lui, pendant toute la guerre, s'est baladé dans un parc londonien, encore maintenant il se balade. Je ne peux pas le regarder dans les yeux sans ressentir de la colère, du mépris même. Je préfère regarder par terre, nous les vingt mille hommes qui se sont retrouvés honteux et humiliés à Palmanova. Et la nuit, on regarde les étoiles. Et on ne comprend pas ce qui nous est arrivé à tous.

Pages 24/25
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«J’étais seul et elle était une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage. Quand je l’ai connue, il régnait là-bas un calme miraculeux, les oiseaux chantaient dans les arbres, les abeilles bourdonnaient sur les fleurs de sarrasin. Le pianiste, je crois qu’il s’appelait Vito, jouait Beethoven. Le peintre ronflait, complètement soûl. Je respectais son mari, c’était un homme pondéré toujours impeccablement habillé, lui-aussi d’une certaine façon, je l’aimais, mais c’était sa compagnie à elle que je désirais ardemment. Au fond, elle est le seul souvenir clair, presque lumineux de l’époque de la guerre, vraiment le seul, tout le reste, ce sont des convois militaires, des voyages à travers le continent, l’hôpital et ses blessés gémissants, la dernière année, les otages fusillés en Italie à qui je tâtais le pouls de la vie qui agonisait, touchant à sa fin ou déjà finie.
(...)
«Je ne la touchais plus. Même si j’en avais envie. Elle était intouchable. Attirante, mais intouchable.
C’est ainsi qu’elle est restée dans ma mémoire. Cette nuit, je la vois. Je sens sa présence même si je ne l’ai touchée qu’en lui prenant la main, je la sens comme si elle était ici, maintenant.»

(3ème témoin Horst Hubermayer, médecin allemand reçu au manoir de Podgorsko)
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Mais moi, je suis toujours ici, si c'est toujours bien moi.
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Un après-midi, elle entra dans un monde qui n'était pas le sien. Dans le mien. Je pourrais dire le nôtre, elle entra dans notre monde.
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Cioran a mis l'extrait que j'avais l'intention de mettre :-)
donc je mets ce petit extrait, peut-être le moins emblématique de ce magnifique roman, mais...
Donc c'est Stevan Radovanovic qui parle (1er témoignage) :

Veronika m'annonçait qu'elle retournait chez Leo. Elle m'aimait toujours, elle ne regrettait pas ce que nous avions vécu et fait ensemble. « Mais, maintenant, je vois, Stevo, comme nous nous sommes éloignés l'un de l'autre ces derniers temps ».
J’avais l'impression d'être cet alligator qu'ils avaient empaillé. Et je n'avais même pas mordu son mari.
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