Citations sur La mémoire du monde (17)
"Il arrive, lors des moments d'importance, que l'on ait les yeux braqués au mauvais endroit. On attend l’événement dans la lumière, il se produit dans l'ombre."
Mes souvenirs d'enfance émergent d'une sorte de brume. Chacun d'eux est vivace, la vision que j'en ai plus précise et plus colorée que celle qui se détache des nombreuses années de mon interminable âge adulte. La sensation de flou vient de ce qu'alors je ne comprenais pas bien ce que je voyais.
"- La liberté est un bien précieux, c'est pourquoi elle a un coût élevé.
- Quel est son prix ?
- Pour une liberté discrète, la solitude, pour une liberté ostentatoire, la calomnie."
"Je me suis souvent étonnée que l'homme à la vie si brève puisse prendre le risque de la perdre accidentellement et surtout qu'il puisse s'attacher à des choses aussi futiles que la possession, la terre, le pouvoir."
Jusqu'alors, je pensais que la seule chose qui me distinguait des humains était mon absence de crainte face à la mort. Platon m'a démontré que j'avais peur moi aussi. Peur de la solitude, peur de la perte, peur de l'avenir. Qu'il ne suffisait pas de ne plus craindre la décomposition physique pour devenir libre.
"Le corps sent ce que la raison ignore, c'est une survivance de notre état animal."
"Les vivants perdent très vite la trace de leurs ancêtres. Ils oublient d'où ils viennent. Si on ne le leur rappelle pas, ils se perdent dans la masse des individus anonymes que le temps emporte."
La peur, je crois, est la source de toute pensée humaine. La peur de mourir est celle qui guide nos croyances et nos superstitions. La peur de perdre nos proches ou notre confort est celle qui nous inhibe. Pour moi, la perte était consommée, irréversible. Je découvrais un monde sans peur, les années à venir n'étaient plus un fardeau.
Les souverains de Canaan redoutaient l'influence des chefs de nos clans. Ils nous avaient donné un nom pour nous désigner, Hébreux, du mot avar, qui signifie "passer" car nos ancêtres étaient venus d'ailleurs. A cette époque, je pensais : Nous ne faisons pas que passer, nous sommes là pour demeurer, pour faire souche. Avec le recul, j'ai su que ce nom était une vision de notre destin. Nous étions voués à n'être que de passage.
Notre caravane reprend sa route. J'ai chargé dans mes bagages trois tablettes gravées par mon fils Mosêh, en souvenir de lui et de son acharnement à créer. Le soir, pour réconforter ce peuple désemparé par la perte de ses chefs, je renoue avec mes chants de jadis. J'en ajoute de nouveaux. Je chante l'histoire d'Aaron et de Mosêh. L'histoire de Yokévèd, leur mère. L'histoire de notre sortie d’Égypte et celle de nos ancêtres devenus aussi puissants que des pharaons. A force de ressasser les mêmes phrases, le peuple peut chanter avec moi. Peu à peu, ce qui a été réel rejoint notre imaginaire. Bientôt nous ne distinguerons plus le vrai du faux. C'est notre manière de survivre à nos malheurs.