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Citations sur La mémoire du monde (17)

Ma maison d'autrefois tenait difficilement debout mais elle avait le mérité d'exister toujours. Elle était habitée par un certain Yeshua, ce qui me laissa augurer qu'il s'agissait bien là d'un de mes fils. Il était le petit-fils de Shlomit, son père, ses oncles avaient succombé depuis belle lurette. Il avait bien eu une tante, nommée elle aussi Shlomit, mais il l'avait à peine connue, elle était morte en couches et qu'il sache, aucune de ses cousines ne se prénommait ainsi.
Il ne parut pas enchanté à l'idée de nous accueillir, il avait déjà bien du mal à nourrir sa famille. Je n'avais pas engendré que des lumières, loin de là, mais ce paysan mal dégrossi me fit mal au cœur. Pour finir, découragée, j'évoquai tout de même un certain coffre qui avait résidé dans cette maison et attendait sa véritable propriétaire. Son visage s'illumina soudain d'un véritable sourire. Je compris que, selon la légende qui se transmettait à mon sujet, mon apparition - disons l'apparition de la propriétaire du coffre - était synonyme de renaissance. Il devint brusquement plus disert, plus ému, ses mains se mirent à trembler, ses lèvres aussi. Il n'avait plus le coffre mais savait où le trouver. [...]
Il proposa de nous offrir un peu de pain. Jérusalem était misérable mais, avant de partir ce matin, Myriam avait nourri sa sœur et sa cousine. Elles n'étaient pas affamées comme pouvait l'être cet homme dont la femme et les enfants étaient morts de faim deux hivers auparavant. Soucieux de n'être pas plaint, il nous affirma que les récoltes seraient bonnes cette année, que la vie n'allait pas tarder à reprendre le dessus. Je me sentis confus de l'avoir mal jugé au premier abord. Son mérite était grand. Je lui prédis une nouvelle épouse et des enfants pour prendre soin de sa vieillesse. Je savais que la confiance qu'il avait dans mes pouvoirs surnaturels le conduirait à réaliser ma prophétie.
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Nous sommes assises sur le pas de sa porte. Elle caresse Isou qui ronronne. Elle me dévisage.
- Quelque chose a changé en toi, me dit-elle.
- Vraiment ? Peut-être ton souvenir n'était-il pas si précis...
- Non, il y a quelque chose dans tes yeux.
- Ah...
- Je ne sais pas, comment te dire... tu as perdu quelque chose ou quelqu'un...
- J'ai passé ma vie à perdre des quelqu'un.
- Ce n'est pas un argument. Moi aussi, j'ai vu mes proches mourir, un grand nombre d'entre eux, je ne m'y habitue pas.
- Tu as raison, je ne m'y habitue pas non plus. Oui, j'ai perdu quelqu'un mais j'ai surtout perdu quelque chose.
- Quoi donc ?
- La faculté de croire. Ce travail d'écriture, il est sage, parce qu'ainsi les hommes sauront d'où ils viennent et ce qu'ont vécu leurs pères. C'est nécessaire pour espérer avancer mais ça n'apprend rien sur Dieu.
- Tu ne crois plus en YHWH ? Est-ce parce que tu te dis que s'il existait, depuis le temps que tu es sur terre, tu en aurais ressenti les manifestations ?
- Je ne me dis pas exactement cela. Rien de ce que j'ai vu ne vient confirmer, ou infirmer, l'existence de Dieu. Je vois les hommes lui courir après. Parfois ils l'attrapent par un bout, parfois par un autre. Ils finissent toujours par l'emprisonner dans un carcan de déjà-vu, déjà-connu, déjà-pensé. Si bien que notre Dieu n'est jamais rien d'autre qu'un super-roi que l'on ne voit pas, qui s'exprime par le truchement de ses ministres, anges et prophètes, distribue récompenses et châtiments, en somme un être doté de tous les travers humains. C'est normal, comment pourrait-il en être autrement ? Une pensée humaine ne peut créer que de l'humain. Je n'ai rien contre. La vérité de ma croyance propre est que je ne sais pas.
- Alors, tu en es au même point que nous. Nous espérons, c'est tout ce que nous pouvons faire. Espérer sa clémence, son existence, des jours meilleurs.
- Si tout cela a un sens voulu par un dieu, quel qu'il soit, tu le sauras un jour, Hannah. Tandis que moi, rivée à cette existence terrestre, je ne le saurai pas. J'ai longtemps cru que mon immortalité me plaçait au-dessus de la condition humaine. Mais aujourd'hui, je sais que je suis l'humaine la plus humaine du monde car vouée à jamais épouser le sort de l'humanité.
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- Les dieux grecs devaient te paraître enfantins !
- Pas du tout. Je les ai aimés autant que les dieux de mon enfance, et même davantage. La manière dont ils se mêlaient aux péripéties humaines, exacerbant notre propre sentiment, infléchissant les destins au hasard de leurs amours et de leurs disputes, faisait de l'Olympe une immense aire de jeux cruelle et joyeuse. Leurs déesses avaient un meilleur potentiel que nos divinités orientales. Héra la jalouse, Artémis la sauvage, Aphrodite la jouisseuse ou Déméter la tenace.
- Je parie que ta préférée était Athéna.
- Oui, pour l'intelligence, la manière de s'affirmer l'égale de ses frères, de tenir tête à son père. Si tu les analyses, tu verras que les déesses grecques représentent les facettes d'une même femme. J'ai été tour à tour Déméter - j'aurais été capable de descendre jusqu'en enfer chercher un de mes enfants -, Artémis solitaire ou Aphrodite lascive. Héra, je m'y retrouve dans sa fibre manipulatrice. J'ai assisté des hommes de pouvoir. Ils se croyaient forts, responsables de leurs actes, tandis que dans l'ombre je les activais comme des marionnettes. L'homme de pouvoir est le plus manipulable de tous car il ne doute pas de lui-même. Il ne se méfie pas, il ne voit rien d'autre que son propre accomplissement. Les hommes sans pouvoir connaissant la fragilité des choses, ils doutent, ils regardent à deux fois avant d'agir, ils pèsent le pour et le contre, ils se méfient de leur entourage. On ne les influence pas comme ça. Zeus n'est rien sans Héra mais il serait bien en peine de le reconnaître. Athéna, par son côté viril, passe à côté d'une partie de la vie. Elle ne voit pas les faiblesses, elle ne sait pas s'attendrir. Pour des raisons que tu comprendras facilement, je me suis prise d'affection pour Hermès, le dieu des marchands, des voleurs, des voyageurs, des messagers. Nous vivions, Stéphanos et moi, sous son aile tutélaire. Je ne suis qu'une messagère, vois-tu, qui transmet ses messages d'un siècle à l'autre. J'aimais ce dieu léger, farceur et malin. Ce n'était peut-être pas l'intelligence profonde et maline d'Athéna dont le cerveau est une machine de guerre, mais cette finesse-là me plaisait. J'ai connu quelques Athéna au cours de mon existence, des femmes admirables, capables de déclencher les passions et de briser les vies, mais malheureuses, trop seules, incapables de compassion tant pour elles-mêmes que pour les autres. C'est pourquoi elles ont obtenu la mienne. Cela me touche aussi, ce vain combat pour l'impossible maîtrise de soi-même.
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- A mon échelle, vingt années ne sont rien. J'ai songé chaque jour à la fragilité de sa vie et tenu à lui comme aux enfants que j'ai aimés et su devoir quitter. Les marques de l'âge me l'ont rendu plus cher encore. J'ai vécu ces vingt ans plus attendrie que jamais par la condition de l'humain, destiné à périr sans avoir compris l'utilité de sa lutte. Les cheveux blancs qui s'immiscent dans la masse brune, les rides qui se creusent, les taches brunes sur la peau qui s'adoucit n'ont pas suscité le dégoût mais le désir. Nous avons voyagé un peu, principalement en Ionie. Je volais les histoires comme il dérobait l'or et les bijoux. Comme en Israël, les légendes étaient des chants que le peuple récitait en scandant des vers. Certaines venaient de temps reculés et se reconnaissaient aux archaïsmes de la langue. D'autres s'étaient déjà transformées. je les transcrivais toutes dans l'état où elles m'étaient transmises. Sans rien changer à la rythmique des phrases.
- N'est-ce pas étrange que des gens incultes sachent réciter des vers ?
- Au contraire, la versification crée un rythme qui rend la mémorisation plus facile. Nous vivions un temps où peu de gens savaient lire ou écrire mais tous pouvaient réciter des milliers de vers qu'ils avaient entendu depuis l'enfance.
- Homère n'avait pas déjà écrit l'Iliade et l'Odyssée ?
- Pour être franche, je ne sais rien d'Homère. La guerre de Troie était un long poème épique dont les versions changeaient selon les villes. Je notais. La quête d'Ulysse me rappelait celle de Gilgamesh à cela près qu'Ulysse renonça à l'immortalité pour retrouver la douceur du foyer. Comme si l'homme n'avait cherché, à travers ses contes, qu'à se consoler de son état de mortel et à se persuader qu'il le choisirait encore si on lui en offrait la possibilité.
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Isaïe était de ces fous lucides par la bouche desquels la vérité explose. Personne n'avait encore parlé de Dieu de manière aussi directe. Pour Isaïe, tout était du registre de la punition ou de la récompense. Les hommes s'étaient complu dans des vies faciles, jouisseurs, fourbes, traîtres, hypocrites, cédant à leur exécrable nature, et voici qu'ils le payaient. L'anéantissement d'Israël n'était que l'aboutissement d'un laisser-aller généralisé. Ce discours glaçant était très simple à comprendre : lorsque l'on fait des bêtises, on est puni. Ça comportait à première vue quelque chose de juste et de consolant car dès lors que l'on ne faisait plus de bêtises, on pouvait espérer être récompensé. A un détail près : qu'est-ce que faire des bêtises ? C'était là, dans l'interprétation du mauvais comportement, que le pire était permis. Si tout le monde s'accordait à penser que voler son voisin, violer une femme, tuer un homme, c'était mal, il était moins simple de qualifier la recherche du plaisir et des loisirs, la satisfaction des sens, le fait de s'occuper de soi-même plus que d'autrui, etc.
Pour Isaïe, tout ce qui alimentait les mauvais penchants de l'homme (l'oisiveté, la sensualité, la possession) méritait châtiment. Cette idée du péché a prévalu et survécu, alimentant des siècles de culpabilité. Cette lecture du monde est, encore aujourd'hui, dominante dans la pensée occidentale.
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Il n'était pas simple pour nos prêtres, la plupart étant de mes fils issus d'Aaron, d'imposer le Dieu unique. Les hommes ont besoin de se vouer à plusieurs forces ; ainsi, lorsque l'une échoue, une autre peut prendre le relais. Que David ait tenté de se distinguer de ses voisins en instituant le Dieu unique dont il aurait été le prophète, cela lui ressemblait. Qu'il y soit parvenu, eh bien non. Et son fils pas davantage.
Salomon n'a pourtant pas ménagé ses efforts. Il a fait construire un temple grandiose pour y déposer le coffre, la fameuse Arche d'alliance de son père. Il a organisé une cérémonie telle que je n'en avais jamais vu, pas même en Égypte du temps d'Amon. Mais le faste n'entre pas dans le cœur des gens. Si la religion en Égypte faisait si parfaitement corps avec le peuple, c'est qu'elle lui donnait l'espoir d'une vie éternelle. Elle le consolait de sa finitude en lui rappelant que le meilleur, le durable, le sublime était encore à venir. C'était cette espérance que les mortels chérissaient. Il n'avaient que faire d'un Dieu, unique ou non, qui ne leur promettrait pas l'immortalité.
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J'ai serré contre moi le petit corps poisseux de ma fille, vaguement affolée qu'elle ne crie pas sitôt hors de son nid. Elle a pris son temps, agité les bras, rempli ses poumons, et, enfin, a poussé le hurlement que j'attendais d'elle. Alors le monde s'est teinté de nouvelles couleurs.
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