La douleur n'était pas inhérente au fait d'aimer mais au fait de ne pas l'être en retour.
J'appartenais à mon époque et non à ces siècles passés où la femme n'était qu'un accessoire de l'homme pour porter ses enfants, tenir son foyer et adoucir ses soirées.
Comment avait-on pu nous déshumaniser au point de croire qu'en nous fabriquant en laboratoire, nous appartiendrions corps et âme à l’État sans chercher à disposer de nos vies ?
J'ai fini par penser que c'était une bonne chose de ne pas avoir à se soucier de séduire, de savoir se faire respecter par soi-même et non par le biais de l'apparence comme c'était le cas aux siècles passés. Plus de jugements hâtifs, de première impression, dictés par l'illusion et la projection de nos désirs.
Bien des régimes totalitaires avaient vu le jour sur cette planète au cours des siècles précédents, qui s'étaient tous soldés par des échecs car l'on ne pouvait obliger un peuple à vivre selon des règles qu'il n'aurait pas intégrées au fond de sa conscience.
Grâce à la stérilisation, les Bleus étaient débarrassés des sautes d'humeur liées aux désordres hormonaux ; puis ils étaient formés pour éduquer les enfants de manière juste et neutre, devenant en théorie de bons parents ne projetant pas de désirs nocifs sur leur progéniture.
Cela m'éviterait l'endormissement, le plaisir qui naît de l'habitude. Car, je le soupçonnais déjà, elle l'avait prouvé dans le passé, la nature humaine s'adapte à toutes les situations et sait tirer profit de ce que l'adversité lui propose.
(…) nos prénoms, la plupart du temps, sont fruits du hasard et ne signifient rien pour nous, pas comme à ces époques où les parents biologiques projetaient tous leurs espoirs dans l'attribution d'un nom.
Pourquoi avoir reproduit une telle source d'inégalité? Je connais la réponse, on nous l'a serinée depuis l'enfance : les castes ne produisent pas de l’inégalité mais de la différence. Certes, j'ai bien voulu comprendre qu'égal ne signifie pas identique mais je ne suis jamais parvenue à m'en persuader.