L’homme doit tenter d’échapper à son destin, disait-il.
Lui, il tentait de me cacher ma propre tristesse.
Et que pouvait-il savoir du destin, lui, communiste et mécréant ? Parfois j’ai l’impression qu’il en savait plus que l’imam de Livno. Et je me dis aussi que ce n’est pas un péché d’avoir cette impression-là.
Dušan Drašković ressemblait à un peuple disparu, sans voix, sans langue et sans mémoire. Tout ce qu’on pouvait dire à son sujet semblait être le produit d’imaginations débordantes, de consciences troublées, de nerfs à vif, de rêves plombés. Comme si sa personne réelle n’avait jamais existé. C’est le sort des individus et des peuples massacrés sans appel, de tous ceux qui n’ont pas leur Miloš Kaludjerović pour les répertorier, classer et archiver.
C’est étrange, la sérénité que la tristesse d’autrui peut nous apporter.
À l’âge de vingt et un ans, il essaya pour la première fois de se supprimer. Il dénuda un câble électrique, le passa autour de son cou et le ficha dans une prise. Le courant sauta dans tout le quartier.
Lorsque, arrivant à son terme, un débat semblait n’aboutir à aucune conclusion –car jamais sous nos latitudes on ne renonce à sa théorie pour adopter celle d’un autre –, les discussions reprenaient de plus belle, souvent avec les mêmes intervenants mais dans un autre studio ou bien dans les pages d’une autre revue, à cette différence près que chaque nouveau débat repartait à un niveau inférieur sur la base d’hypothèses plus élémentaires, comme si les participants descendaient dans une grotte apparemment sans fond,......
Il faut respecter les gens qui luttent. C'est ceux qui ne luttent pas qui posent des problèmes.
Quand Tito passait, il laissait derrière lui une odeur de citron et Avram croyait que c'était le doux parfum du thé que le maréchal prenait le matin avec sa femme Jovanka ou bien un parfum à l'huile de rose bulgare, d'où chez Avram la conviction que le communisme sentait la rose.
Tout souvenir, comme toute histoire humaine écrite ou non écrite, ressemble plutôt à un rêve qu'aux ombres laissées par la réalité. Il en va de même avec l'histoire de Dželal Pljevljak et la mémoire de l'affaire qui a marqué la Yougoslavie juste avant la guerre. En écrivant ces lignes, l'inquiétude nous saisit à l'idée que tout ce dont nous avons fait état aurait pu se passer autrement, pour ne pas dire à l'inverse, le noir aurait été blanc, la nuit le jour, et que toute mémoire n'est qu'un rêve au milieu d'une agonie.