— Mais je n’ai pas voulu… Je t’assure.
— Bien sûr, tu n’as pas voulu. Personne n’a jamais voulu. Mais, en attendant, le résultat est le même. Vous me pompez ! Voilà ce qu’il y a : vous me pompez !
— Enfin, papa…
— Arrête de m’appeler « papa ». Qu’est-ce que je t’ai fait, hein ? Tu me poursuis. Tu ne cherches qu’à m’humilier. D’abord, tu viens assister à ce procès ridicule. Pourquoi ? Pour te payer ma gueule ? Et ce n’était pas assez, bien sûr : tu as vu comment tu étais habillé ? En clown, Julius. Regarde-toi donc : un épouvantail. Le juge aurait pu t’expulser. Après ça, tu m’attends, tu laisses sortir tout le monde goutte à goutte, pour que personne n’ignore que le type fagoté comme l’as de pique planté au fond de la salle, c’est évidemment le fils de l’autre, l’ahuri qui demande un droit de visite pour son chien. Son chien ! Venons-en à son chien ! Il ne manquait que lui, naturellement ! Tu m’amènes ce chien qui ne m’aime pas, qui ne m’a jamais aimé, qui s’en tape de moi, comme ta mère, comme ta sœur, comme vous tous. Tu me le fourres dans les jambes. Tu m’obliges à le promener. Y a que me pisser dessus qu’il n’a pas fait. Et pour finir, le pompon : tu puises dans la caisse de ton patron, histoire de sucrer un avocat marron qui pouvait attendre, et tu viens me relancer alors que tu sais parfaitement que je suis incapable de te rembourser. Non, Julius, tu dépasses les bornes ! Est-ce que vous allez me lâcher un peu à la fin ?
Toutes les femmes sans doute possèdent la faculté de mettre leur propre corps à distance – ne fût-ce qu’à celle d’un miroir –, d’en faire un objet détaché d’elles-mêmes pour le parer et l’envoyer comme leur ambassadeur auprès du monde. C’est une chose fragile et précieuse qui représente leur âme.
— René, enfin, les enfants !
— Quoi, les enfants ?
Ici, Julius tentait sans conviction un armistice (« Papa, maman, arrêtez ! Ca va mal se finir une nouvelle fois ! ») Il comptait plutôt sur sa petite sœur Renata. Théoriquement, elle se mettait à pleurer dès que son père passait à la vitesse supérieure. Son menton tremblait, les commissures de ses grosses lèvres se réfugiaient près de ses oreilles et une cataracte s’échappait de ses yeux et de ses narines. Sa tête oscillait de sa mère à son père, comme si elle voulait les faire profiter à tour de rôle de la laideur de son chagrin. C’était alors à qui la prendrait le premier dans les bras. Le vainqueur pouvait triompher : « Tu vois, tu as fait pleurer la petite ! C’est vraiment tout ce que tu sais faire ! T’attaquer à une enfant qui n’est déjà pas normale. »
La cruauté de son mal passé le faisait sourire, comme on sourit de la méchanceté d’une vieille parente disparue, sans plus lui en vouloir vraiment, content d’avoir fait ce qu’on a pu quand on la fréquentait, autant que soulagé d’en être à jamais débarrassé.
Elle est voluptueuse, l’heure où l’offenseur tend le cou à l’offensé.
Jusqu’à quel âge dit-on sans ironie d’un homme qui a perdu son père qu’il est orphelin ? Jusqu’au moment où il en éprouve du chagrin, aurait répondu Charlotte, et qu’il a besoin de l’amour d’une femme pour l’en consoler.
La plupart du temps, la rubrique « Profession de la mère » [de la fiche d’inscription] restait vierge. Le secrétaire qui avait pris l’inscription avait néanmoins noté: « mère modèle ».
De n’importe quel lycée, Jean-François aurait été renvoyé. Les pères le gardaient à seule fin de démontrer qu’il en faudrait bien d’autres pour entamer leur tolérance légendaire.
Quelques instants après, soulevée par les jambes et par les bras, la victime apparut. Inerte, le cou en extension, la tête disloquée, bouche béante, pupilles révulsées. Mort. Le 306 sortit à l’horizontale devant les yeux horrifiés de l’assemblée à genoux.