Agates et calots

Madame... Je vais vous dire, nous sommes des juifs, des israélites.
J'entends Maurice murmurer:
- Ayayayaïe...
L'autre, entre-temps, a retrouvé son assurance :
- Comment se fait-il que vous ne m'en ayez pas parlé ?
- Vous ne nous l'avez pas demandé...
- Ça ne fait rien, vous auriez dû me le dire !
Rose intervient:
- Mais enfin, madame, qu'est-ce que ça change?
Explosion :
Eh bien, puisque vous insistez, je vais vous le dire. Je pensais accueillir chez moi une famille normale... Je n'ai même pas pensé... Et puis... je n'ai pas à me justifier ! Ce serait plutôt à vous de le faire, puisque vous m'avez raconté des histoires!
Claquement de porte.
Je me demande pourquoi on n'est pas une famille normale. On est ni mieux ni moins bien que les autres.
Si.
On doit être moins bien.
Dès le lendemain, on nous explique qu'il faut qu'on déménage.
...
Valises, marche, retour à la case départ .
On monte dans un car.
On repart...

Il fait déjà presque nuit. Papa a allumé le feu dans la cheminée et Esther écoute de la musique à la TSF. D'un coup, Blanche se met pieds nus sur le marbre. Elle dénoue le foulard qu'elle porte et le passe autour de sa taille en balançant doucement ses hanches; Elle commence à danser devant le feu, les bras levés comme une petite gitane. Elle est si belle.

- Vous en faîtes une tête ! Il vaut mieux que ce soit la Pologne que la France ! Paf. Une baffe. Mon père n'écoute pas souvent le poste et, quand il l'écoute, c'est pas pour être dérangé. Tout de même, une baffe pour la Pologne, ça ferait combien pour la France

Avec mon frère, je partage tout ... ou presque, et pour la peine, il me fait croire qu'il me protège. Comme si je ne me débrouillais pas très bien tout seul ! Il s'imagine qu'il est bien plus malin et plus intelligent que moi. Je ne veux pas lui faire de peine, alors je lui laisse croire que c'est vrai

Mon père dit qu'on est en France dans un pays laïc, et qu'il faut nous plier aux règles de la République. Il dit encore qu'on est juifs, mais qu'il ne faut pas en faire un métier. [...]. Il fait sabbat le vendredi soir, mais ça ne l'empêche pas de travailler le samedi. Au fond, je trouve que c'est plutôt bien. Parce que, du coup, on a plein de jours de fête : vendredi et bien sûr dimanche