A quarante-deux ans, Joseph Joffo s'est raconté à travers ce roman autobiographique. Il est revenu plus de trente ans dans le passé lorsqu'enfant, il a dû fuir Paris où il est né pour échapper aux nazis. Et comme cet auteur disparu fin 2018 ne manquait pas d'humour, je me permets de débuter cette chronique par un peu d'humour noir en attribuant cinq étoiles jaunes à "Un sac de billes".
L'étoile jaune, symbole de la ségrégation raciale et de la persécution des Juifs. le roman commence par là et on a beau en connaître long sur le sujet après quatre-vingts ans de littérature dédiée à la Shoah, c'est toujours le même choc que l'on ressent au spectacle de cette stigmatisation aux conséquences meurtrières. Joseph et ses frères - Albert, Henri, Maurice - doivent fuir ainsi que leurs parents. La menace nazie se précise, c'est l'exil. Deux par deux, ils gagnent tant bien que mal les Landes pour passer la ligne de démarcation et rejoindre Marseille, Menton puis Nice. Joseph et Maurice, respectivement âgés de dix et douze ans, sont alors totalement livrés à eux-mêmes. Pour ces gamins du pavé parisien qui ne se sont guère aventurés au-delà de la rue de Clignancourt, c'est un plongeon à la fois terrifiant et existant dans le grand Inconnu. Débrouillards et parfois chanceux, ils ont conscience qu'ils en ont définitivement terminé avec l'enfance.
Joseph Joffo l'atteste dès le préambule : à quelques détails près, tout est vrai. "Un sac de billes" est le récit fidèle de ce qu'il a vécu. Difficile pour nous de ne pas frémir à la pensée de ces deux jeunes frères jetés sur les routes de France avec leur besace et leurs habits pour tout bien. Difficile aussi de ne pas trembler, s'affoler, se réjouir avec eux, et de ne pas ressentir cette urgence de la survie qui les pousse de place en place, de planque en planque. Enfin, difficile de ne pas mesurer la chance qu'a été la nôtre de ne pas connaître cette épreuve.
"Un sac de billes" est un récit très rythmé, écrit avec des mots simples et des sentiments authentiques ; il se lit comme un roman d'aventures qui laisse un goût amer, celui de la honte et de la culpabilité ; celui aussi de l'admiration. La narration est à la première personne, ce qui rapproche encore davantage le lecteur des personnages. Ce qui marque particulièrement : les personnages secondaires furtifs mais ô combien essentiels, ceux dont le narrateur précise : "Je ne les revis jamais", et qui d'un geste courageux ou d'une parole audacieuse ont protégé voire sauvé sa vie et celle de sa famille.
Challenge MULTI-DÉFIS 2020
Challenge XXème siècle 2020
Challenge des 50 objets
Pioche dans ma PAL juin 2020
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Ce roman autobiographique, qui a eu beaucoup de succès, raconte les souvenirs d'enfance et d'adolescence de l'auteur, juif pris dans la tourmente de la seconde guerre mondiale. Avec l'aide de Patrick Cauvin, il nous livre un récit fort émouvant, mais aussi plein de vie, de truculence et d'humour.
On comprend l'impact de ce livre, toujours étudié au collège. Le jeune lecteur se sent aussitôt en empathie avec le narrateur, il partage ses émotions et découvre les dangers et l'injustice subis par quelqu'un de son âge, durant la guerre. Le lecteur adulte, lui, éprouve de la tendresse et de l'inquiétude pour Joseph et sa famille.
C'est un véritable périple que l'enfant va connaître avec son frère Maurice, pour rejoindre en zone libre, en 1942, leurs frères plus âgés. La famille sera séparée puis réunie à de nombreuses reprises. En cela, le livre s'apparente à un roman d'aventure.
Mais c'est avant tout un roman d'apprentissage, celui d'un enfant mûri trop vite , qui au départ ne comprenait pas grand chose( et c'est normal!) au sort réservé aux Juifs. D'ailleurs, il échange son étoile jaune contre un sac de billes, d'où le titre... La fuite, l'arrestation avec l'interrogatoire, les dénonciations, les lâchetés, mais aussi les aides inattendues vont le hisser au rang d'adulte, avant l'heure. Il faudra beaucoup de courage et de débrouillardise pour sortir de cet enfer quotidien.
La verve, le ton vif et amusé nuancent heureusement l'aspect sombre de ce livre, qui se termine dramatiquement pour un des membres de la famille...
L'auteur écrit en épilogue:" En regardant dormir mon fils, je ne peux que souhaiter une chose, que jamais il ne ressente le temps de la souffrance et de la peur, comme je l'ai connu durant ces années. "
Cependant, il ajoute:" Mais qu'ai-je à craindre? Ces choses ne se reproduiront plus. Peut-être..." Il doutait quand même. Et il avait raison. Le présent est en effet inquiétant, la haine toujours là, abjecte, qui guette...
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Joseph et Maurice, 10 et 12 ans, sont deux joyeux lurons, les deux plus jeunes de la famille Joffo. Les "voyous" comme les surnomment affectueusement les membres de la famille Joffo. De parties de billes endiablées, aux histoires racontées par le père, de parties de polochons dans le noir ou de petites raclées entre frères, Joseph et Maurice sont deux enfants des années 40.
Ils n'ont même pas conscience de ce que ça signifie d'être juif quand une affiche est apposée sur la vitrine du salon de coiffure de leur père et des deux frères aînés ou que leur mère est obligée de coudre une étoile jaune sur leur manteau. D'ailleurs les copains non plus. Car bientôt l'étoile jaune est échangée contre un sac de billes.
Le danger monte. Les parents décident de faire partir Maurice et Joseph à Menton, seuls. Ils ont pour projet de les rejoindre plus tard. Commence alors un périple incroyable pour ces deux enfants. Ils feront des rencontres comme celle avec ce prêtre dans le train qui les sauvera en prétendant qu'ils voyagent avec lui et tant d'autres encore. Les gamins devront marcher, mentir, subir des interrogatoires, faire des affaires avec les militaires italiens, travailler, fuir, survivre.
Deux gamins débrouillards pris dans la tourmente et la folie de la haine. Histoire dramatique mais racontée avec des yeux d'enfant. Le ton est souvent drôle. On ressent bien l'amour entre ces deux frères. Tant de courage dans cette famille. Que ce soit Maurice qui prend le rôle de passeur une nuit, le papa qui encourage ses enfants à ne jamais dire qu'ils sont juifs et qui les laisse partir, Jo et Maurice qui mentent allègrement lors des interrogatoires.
Témoignage bouleversant.
J'ai vraiment préféré le livre à son adaptation cinématographique.
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Je peux marcher longtemps à présent, je n'ai plus d'ampoules. La plante de mes pieds, la peau de mes talons a dû durcir. [...] Grandi, durci, changé... Peut-être le coeur aussi s'est habitué, il s'est rodé aux catastrophes, peut-être est-il devenu incapable d'éprouver un chagrin profond... L'enfant que j'étais il y a dix-huit mois, ce garçon perdu dans le métro, dans le train qui l'emmenait à Dax, je sais qu'il n'est plus le même que celui d'aujourd'hui, qu'il s'est perdu à jamais dans un hallier de campagne, sur une route provençale, dans des couloirs d'un hôtel niçois, il s'est effrité un peu plus chaque jour de notre fuite... [...] je me demande si je suis encore un enfant... Il me semble que les osselets ne me tenteraient plus à présent, les billes non plus d'ailleurs, une partie de ballon peut-être, et encore... Pourtant ce sont là des choses de mon âge, après tout je n'ai pas tout à fait douze ans, cela devrait me faire envie... eh bien non. Peut-être ai-je cru jusqu'à présent me sortir indemne de cette guerre, mais c'est peut-être cela l'erreur. Ils ne m'ont pas pris ma vie, ils ont peut-être fait pire, ils me volent mon enfance, ils ont tué en moi l'enfant que je pouvais être... Peut-être suis-je déjà trop dur, trop méchant, quand ils ont arrêté papa, je n'ai même pas pleuré. IL y a un an, je n'en aurais même pas supporté l'idée.
Demain je serai à Aix-les-Bains. Si cela ne va pas, si un obstacle quelconque surgit, nous irons ailleurs, plus loin, à l'est, à l'ouest, au sud, n'importe où. Cela m’indiffère. Je m'en fous.
Je voudrais te demander : qu'est ce que c'est qu'un Juif ? [...] - Eh bien, ça m'embête un peu de te le dire, Joseph, mais au fond, je ne sais pas bien.
Pour que les hommes puissent vivre tranquilles, c'est extrêmement simple, il faut tuer tout les Juifs et tous les cordonniers.
- Mais pourquoi les cordonniers ?
Je demandais : Mais pourquoi aussi les Juifs ?
J'ai l'impression que le rêve de sa vie aurait été de m'enfoncer dans le mur et je me pose la question : Pourquoi , Je suis donc son ennemi ? On ne s'est jamais vus, je ne lui ai rien fait et il veut me tuer.
Peut-être ai-je cru jusqu'à présent me sortir indemne de cette guerre, mais c'est peut-être cela l'erreur. Ils ne m'ont pas pris ma vie, ils ont peut-être fait pire, ils me volent mon enfance, ils ont tué l'enfant que je pouvais être ...
Je préfère raconter la suite au présent, cela rendra peut-être l'aventure plus anodine, lui retirera cette aura de sacré que confèrent les temps passés, de l'imparfait au passé simple. Le présent est le temps sans surprise, un temps ingénu, celui où l'on vit les choses comme elles arrivent, elles sont neuves encore vivantes, c'est le temps de l'enfance, celui qui me convenait.
J'ai vu que papa n'était plus là, j'ai compris qu'il n'y serait jamais plus ... C'en était fini des belles histoires contées le soir à la lueur verte de l'abat jour. Finalement Hitler aura été plus cruel que le Tsar. C'est vrai j'ai grandi.
"Monsieur Joffo, j'arrive de votre pays, c'est formidable!" Quoique ayant parfaitement compris ce qu'elle voulait dire, je joue les naïfs : "Ah, la Touraine , C'est vrai les Tourangeaux sont formidables." Tout le monde sait que j'ai depuis fort longtemps une propriété en Touraine. Alors elle : "Qu'avez-vous de commun avec les Tourangeaux ? Je voulais dire Israël !"
J'aurais dû et j'aurais pu alors me lancer dans une longue polémique, lui expliquer ce qu'elle savait parfaitement, que les juifs nés en France sont français et qu'être juif en France c'est tout simplement être de religion juive au même titre qu'un français de religion catholique, protestante, bouddhiste ou musulmane. Et que ce qu'elle venait d'exprimer était aussi offensant pour moi que lorsqu'un homme politique demande à un autre homme politique, juif, s'il a la double nationalité. Mais il y a des cas où les dictons populaires sont une source de sagesse :
"Le silence et le plus grand
de tous les mépris."
Dialogue avec mes lecteurs.
- Jo !
On court après moi. C'est Zérati.
Il est un peu essoufflé. Dans sa main, il a un sac de toile qui ferme avec un lacet. Il me le tend.
- Je te fais l'échange.
Je n'ai pas compris tout de suite.
- Contre quoi ?
D'un doigt éloquent, il désigne le revers de mon manteau.
- Contre ton étoile.
[...]
Je me décide brusquement.
- D'accord.
C'est cousu à gros points et le fil n'est pas très solide. Je passe un doigt, puis deux et d'un coup sec je l'arrache.
- Voilà.
Les yeux de Zérati brillent.
Mon étoile. Pour un sac de billes.
Ce fut ma première affaire.
" - Hé ... Joffo!
C'est Zerati qui m'appelle. C'est mon copain depuis le préparatoire... Il court pour me rattraper, son nez rouge de froid sort du passe-montagne. Il a des moufles et est engoncé dans la pèlerine grise que je lui ai toujours vue.
- Salut.
- Salut.
Il me regarde, fixe ma poitrine et ses yeux s'arrondissent. J'avale ma salive.
C'est long le silence quand on est petit.
- Bon Dieu, murmure-t-il, t'as vachement du pot, ça fait chouette.
Maurice rit et moi aussi, un sacré soulagement m'a envahit. Tous les trois nous pénétrons dans la cour.
Zérati n'en revient pas.
- Ça alors, dit-il, c'est comme une décoration. Vous avez vraiment du pot.
J'ai envie de lui dire que je n'ai rien fait pour ça mais s réaction me rassure, au fond c'est vrai, c'est comme une grande médaille, ça ne brille pas mais ça se voit quand même. "
Extrait du livre audio "Un sac de billes" de Joseph Joffo lu par Maxime Baudouin. ©Editions Audiolib. Parution en CD et en numérique le 14 avril 2021.