Il y a des matins comme celui-ci où je me retrouve accoudé au comptoir d'un bar du fonds de l'Amérique, un bled perdu dans les ténèbres des Appalaches. Comme souvent, le juke-box déverse son mélange de country et de blues. Comme toujours, je me retrouve seul à tourner les pages d'une vie, il y a un gars sur scène qui joue de la guitare, des trucs à la Hank Jones, il y a un autre type qui porte un tatouage de Daffy Duck dans le cou. Une nana en mini habillée de santiags regarde le guitariste, les lèvres brillantes humidifiées par sa langue érotique, la main presque sur les couilles du tatoué.
Je sens que dans quelques secondes, minutes, heures, la baston va déchaîner son lot de violence, de sang et de bile. Cela finit toujours comme ça ces histoires qui mêlent le pouvoir de l'alcool, des drogues et des nanas bien roulées en santiags. Y'a pas à dire, aujourd'hui, je suis servi. J'ai tous mes plaisirs malsains sans bouger mon cul du tabouret du bout du comptoir. Une poupée m'apporte un shot, plus fort, plus violent, plus viril. Beau cul. L'heure de me défoncer la gueule au Durty Misty's. D'oublier cette vie de merde, cette putain de vie qui me cloue devant un verre et un bouquin, cette vie qui me fait tituber d'un côté à l'autre du caniveau, dont les effluves de pisse se mêlent au parfum de gerbe qui me reste en travers de la gorge.
A quoi reconnait-on vraiment un homme ? A sa capacité de pleurer, à celle d'encaisser les coups ou à celle de compter le nombre de bières qu'il s'enfile avant de ne sombrer dans le caniveau et de se vomir dessus…
A quoi reconnait-on un bon écrivain, en devenir ? Au fait de tourner les pages et de se retrouver perdu dans cette «
Nitro Mountain », région minière désaffectée des Appalaches, et dans ce roman. C'est toujours le premier contact qui compte. Et comme première impression, je me suis senti dérouté, comme perdu dans le scénario. J'avoue, j'ai eu du mal au début, la gueule de bois, ou la gueule en vrac, pour accrocher à l'histoire, pour adhérer au comptoir, comme un sous-bock collé sur le zinc. Mais, à mon âge, je ne me refais pas, loin de là l'idée d'abandonner un pub alors que ma pinte n'est qu'à demi-consommée et que l'happy hour n'est pas terminée. J'ai persévéré, mon esprit est resté scotché au bar, une musique déversant toujours son flot d'accords, country toujours, cours toujours, les évènements déversant subitement un flot plus important de sang et de gnons, comme c'est trognon ce sang se déversant dans ce trou de balle, gros calibre, une bière se déversant toujours par le chemin le plus direct, de la pompe à mon verre, de mon verre à mon estomac, de mon estomac au caniveau. J'aime les circuits courts.
Lee Clay Johnson, nouvel auteur de cette Amérique profonde écrit là son premier roman. Pas parfait, mais pas non plus dénué d'intérêt. En devenir, donc, et probablement curieux de le découvrir dans quelques années dans un autre roman, toujours dans le coin, probablement que je n'aurai pas bougé de mon tabouret, accoudé seul au comptoir de n'importe quel bouge de la grande Amérique décadente. du sang, de la bière et du vomis, le triptyque incontournable de mes désirs littéraires. Pour peu qu'un gratteux à la guitare y déverse ses mélodies sur scène, je suis prêt à boire n'importe quelle bière, même fadasse, même chaudasse, comme les nanas. J'aime la poussière du Durty Misty's même si j'en espérais beaucoup mieux, en attendais probablement beaucoup trop.
« Rien n'est plus triste que la fin de l'happy hour. », toute la philosophie d'un homme triste....
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