"Soeur" est indiscutablement un roman troublant, qui baigne (voire noie !) le lecteur dans une ambiance malsaine diffuse.
Deux
soeurs adolescentes, Septembre l'aînée et Juillet la cadette, ayant un lien quasi gémellaire du fait d'un mince écart d'âge, apparaissent comme une entité unique. Elles me font presque penser dans leur psychologie, à des
soeurs siamoises, dont l'une aurait remporté à la naissance la majorité des organes vitaux, quand la deuxième aurait uniquement de son côté le minimum pour vivre, accrochée à sa soeur. L'auteur le traduit d'ailleurs très bien en qualifiant Juillet "d'appendice" de Septembre. Les deux
soeurs et leur mère Sheela doivent quitter Oxford, leur maison et leur lycée, après un incident, pivot de l'histoire. Une maison délabrée, appartenant à la famille du père, les accueillera. le récit naviguera donc entre "l'avant incident" et la vie actuelle dans cette maison isolée, qui semble presque en marge de la vie réelle.
Malgré une écriture parfois abrupte, et le fait de mener le lecteur dans des voies sans issue (cauchemar ou songe présentés comme la réalité), je ne peux que reconnaître un style et une qualité d'écriture qui concourent puissamment à construire un univers dans lequel on se sent mal à l'aise, confus, perdu, gêné, avec une envie de balancer un bon coup de pied dans cette fourmilière étrange, ouvrir en grand les fenêtres de cette maison où le temps ne semble pas s'écouler de la même façon, où la lumière ne rentre plus. Très vite dans le récit, le lecteur comprend que quelque chose cloche.
Il y a ce lien puissant entre ces deux
soeurs, l'aînée dominant en tout sa cadette. Pourtant nées d'un même couple, ces deux enfants sont dissemblables autant physiquement que dans leurs caractères. L'une est blonde à la peau diaphane quand l'autre est brune à la peau mate. L'une est une meneuse, autoritaire, presque caractérielle, dont la colère couve, et dans une perpétuelle défiance vis à vis de sa mère. L'autre est effacée, partagée entre un amour inconditionnel et une soumission maladive à son aînée.
Les parents sont absents, intrus dans cette relation exclusive. le père est décédée quand les deux enfants étaient plus jeunes. Un père décrit comme toxique, colérique, le modèle originel de Septembre. La mère est aussi effacée que sa fille cadette, Juillet : souffrant de dépression, elle semble traverser douloureusement ce récit, fantomatique, écrasée par une vie qu'elle subit.
La narration est principalement confiée à Juillet. Elle nous ouvre cette bulle étrange dans laquelle elle évolue avec sa soeur, avec la mère transparente en filigrane, leur non-relation aux autres, leurs jeux de cache-cache, leur défis "Septembre a dit que" faisant s'exécuter Juillet dans des actes allant jusqu'à la mutilation, destinés à prouver son obéissance.
Jusqu'à "l'incident", événement souvent évoqué tout au long du récit et dévoilé progressivement par bribe, jusqu'à être totalement explicité en fin de roman, éclairant tout le récit différemment. Si le dénouement est intéressant (et constitue le principal attrait de ce roman), une fois la pièce manquante du puzzle livrée, je n'ai que peu adhéré à la toute fin de l'histoire.
Je ne serai pas allée jusqu'à qualifier ce roman de gothique, trop peu d'éléments selon moi y concourent. Je le vois plus comme une plongée dans la douleur et une forme de folie. Je garderai surtout le souvenir d'un roman qui aura su dresser une atmosphère étouffante, déroutante et pesante, dont j'avais hâte de m'extirper.