La Belle est la Bête

Nous tombons à même le sol pour nous aimer de la manière dont deux êtres épris et consentants peuvent le faire. Peau contre peau, nos respirations mêlées, nous ne faisons qu’un seul corps, qu’une seule vie, emportées par la passion.

La bête frissonne et me frôle la mâchoire de ses doigts rugueux. Nous nous contemplons de longues minutes, jusqu’à ce que les prémices du jour viennent effacer ses souffrances nocturnes. Je découvre alors Lemeliana dans toute la splendeur de sa nudité. Pour quelques secondes encore, elle garde de l’animal deux petites canines qui disparaissent comme par enchantement sous ses lèvres.

J’essaie de rassembler mes idées, de reconstituer les pièces du puzzle. Le temps qui semble s’être arrêté dans cette maison, Lemeliana qui disparaît chaque soir avant le coucher du soleil. Elle n’a jamais refusé mon baiser, elle a fui parce que l’horloge venait de sonner 20 heures et que la nuit allait tomber. Mais il reste tant de zones d’ombre... Une enfant qui se transforme en bête hideuse, d’accord, mais pourquoi sont-ils tous enfermés dans ce château, figés dans le temps ? Quelle est cette cruauté dont parle le parchemin ? Qu’a donc fait Lemeliana pour être condamnée à vivre éternellement cloîtrée entre ces murs ?

Mon instinct me dit que c’est insensé, déraisonnable et... délicieux. J’ai les membres qui s’engourdissent juste en pensant au contact de Lemeliana et mon cerveau s’enlise. Je ne sais plus où j’en suis, mais j’ai cependant deux certitudes : je n’ai pas de vêtements adaptés, la tempête hurle de plus belle, alors je dois rester ici.

Le temps n’entre jamais en considération pour ces choses-là, et le langage des yeux et du cœur ne trompe pas. Ne vous méprenez pas sur son geste, elle ne vous a pas rejetée. Elle ne veut juste pas profiter de la situation.

Elle glisse les doigts sous ma robe pour atteindre les accroches des jarretelles. Elle détache d’abord celle de devant, puis celle de derrière qu’elle fait sauter en passant une main entre mes cuisses plutôt qu’en contournant mes hanches. À cet endroit, au plus intime de mon corps, j’ai l’impression de recevoir une décharge électrique quand elle m’effleure.
Elle descend le bas en le roulant sur lui-même avant de me l’ôter, puis procède de la même manière avec l’autre.
Sans un mot, elle introduit mon pied droit dans la jarretière qu’elle monte le long de ma jambe avec une lenteur étudiée. Ses doigts sont frais alors que j’ai pourtant l’impression de prendre feu à son contact.

La flamme qui brille dans son regard est celle de la prière, du vœu, de l’espoir. J’y vois scintiller quelque chose de beau qu’il m’est difficile de ne pas vouloir frôler, toucher et embrasser. Je me surprends à lui répondre ce que je n’aurais jamais soupçonné en arrivant ici :
— Je resterai un peu. Mon père patientera…
Ce que je viens de dire, ce que je viens de promettre à cette femme que je ne connais pas est aussi extraordinaire que l’influence que ce château a sur moi. Extraordinaire et dangereux.

Nous sommes au XXIe siècle, mais j’oublie parfois que nous vivons dans un village reculé de Sibérie occidentale et que ce sont les traditions qui permettent au village de vivre plus confortablement. À Suyeta, tout est paradoxal, nous avons Internet, la téléphonie mobile, des panneaux solaires ultra performants, mais les livraisons se font rares et coûtent cher, en particulier durant les grands froids. Alors chasser n’est pas juste une passion pour mon père, c’est une nécessité.

Une enfant qui se transforme en bête hideuse, d’accord, mais pourquoi sont-ils tous enfermés dans ce château, figés dans le temps ? Quelle est cette cruauté dont parle le parchemin ? Qu’a donc fait Lemeliana pour être condamnée à vivre éternellement cloîtrée entre ces murs ?

La flamme qui brille dans son regard est celle de la prière, du vœu, de l’espoir. J’y vois scintiller quelque chose de beau qu’il m’est difficile de ne pas vouloir frôler, toucher et embrasser. Je me surprends à lui répondre ce que je n’aurais jamais soupçonné en arrivant ici :
— Je resterai un peu. Mon père patientera…
Ce que je viens de dire, ce que je viens de promettre à cette femme que je ne connais pas est aussi extraordinaire que l’influence que ce château a sur moi.