Le réceptionniste retrouva son souffle ainsi que l'usage de la parole, et il expliqua à Dédé en termes simples ce que signifiait vingt pour cent de quelque chose. Le meurtrier s'excusa : s'il était devenu pro du calcul quand il s'agissait d'additionner les années de prison, les pourcentages, quand à eux, n'étaient pas sa tasse de thé. Il savait tout de même que l'eau de vie chiffrait à quarante pour cent environ et que cela allait parfois bien au-delà dans le cas d'alcools produits par divers distillateurs peu scrupuleux. Au cours des précédentes enquêtes policières, il avait été établi qu'il avait fait passer ses médocs à l'aide d'alcool à trente-huit pour cent issu du commerce et d'une gnôle maison à soixante-dix pour cent. Certes, il ne fallait pas trop se fier aux enquêtes de police, mais si les flics avaient raison, alors il n'y avait rien d'étonnant à la façon dont les évènements avaient tourné, avec cent-huit pour cent d'alcool dans le sang et des comprimés en plus.
La citation n'était pas tout à fait fidèle, mais quand les gens sont incapables de s'exprimer avec des mots qui feraient de bons gros titres, les journalistes n'ont d'autre choix que d'écrire ce que l'interviewé a voulu dire au lieu de ce qu'il a dit. C'est ce qu'on appelle le journalisme créatif.
(Le comte) avait reçu son surnom des années auparavant en raison de l'élégante façon avec laquelle il menaçait les clients réfractaires. Il prononçait des phrases du style : "J'apprécierais énormément que M. Hansson daigne régler ses comptes dans un délai de vingt-quatre heures, auquel cas je promets de ne pas le découper en mille morceaux." Hansson, ou quel que fut le nom du client, payait alors sans plus rechigner. Personne ne voulait être découpé en morceaux, peu importe leur nombre. Deux, c'était déjà un de trop.
Dédé avait peut-être essayé toutes sortes de drogues, mais on ne pouvait pas l'accuser d'être accro au travail.
Le cimetière avait été converti en parking de 500 places. Un nombre indéterminé de défunts enterrés entre 1800 et 1950 reposaient sous l'asphalte. Nul ne leur demanda leur avis sur cet aménagement et eux-mêmes restèrent muets.
Le jeune homme dont la vie serait bientôt remplie de mort, de violence de voleurs et de bandits, rêvassait derrière le comptoir d'un des hôtels le plus triste de Suède.
Unique petit-fils de Henryk Bergman, défunt marchand de chevaux, il attribuait tous ses malheurs à sont grand-père, qui avait été, dans son domaine, le numéro un de la Suède méridionale : chaque année, il ne vendait pas moins de sept mille bêtes, toutes de premier choix.
Hélas, à partir de 1955, les paysans - ces traîtres - commencèrent à délaisser les bêtes au profit des tracteurs, et ce à une allure que l'aïeul refusa de présager. Les sept mille transactions devinrent sept cent, qui devinrent soixante-dix, qui devinrent sept. En cinq ans, les millions de la famille s'envolèrent en un nuage de diesel. Le père du petit fils pas encore né essaya de sauver ce qui pouvait l'être. En 1960, profitant des rumeurs qui allaient bon train, il alla prêcher les répercussions de la mécanique auprès des paysans de la région.
Dans le sillage des théories selon lesquelles une projection de carburant décuplait les forces - or,ces hommes en recevait souvent ! -, le père évoqua des études qui démontraient que le diesel pouvait entraîner la stérilité masculine.