Sacré roman que cet ouvrage de près de 600 pages, grand format. Aussi épais que dense. le synopsis est alléchant, qui ne serait pas séduit par la découverte de lettres du XVIIe siècle destinées à un rabbin exilé aux Pays-Bas, dissimulées dans les contremarches d'une vieille maison, avec, en parallèle, une course effrénée à la publication universitaire de professeurs aussi ambitieux qu'imbus d'eux-mêmes.
Deux fils narratifs s'entremêlent: le premier repose sur la temporalité de ce début du XXIe siècle relatif à la découverte des fameux manuscrits, l'autre nous ramenant quatre siècles en arrière, lors des circonstances qui entourent la rédaction de ces documents si précieux. Histoire et Théologie font ainsi partie de ce roman, vous vous en doutez. Pour autant, il n'y a rien de trop érudit,c 'est un roman vraiment accessible, à tous les niveaux. Non seulement accessible, mais aussi passionnant qu'instructif: au fil des pages, il est devenu un joli coup de coeur!
Évidemment, et comme souvent lorsque la religion est l'un des piliers principaux de la narration, on y retrouve un ou plusieurs éléments subversifs. Il y en a deux principaux, ici: le mystérieux auteur, scripte des précieux manuscrits, Aleph, qui contre toute attente, et surtout contre tous les principes religieux, se révèle être une jeune femme, Ester Velasquez. de même, le célèbre philosophe
Spinoza qui, apparaît peu à peu comme un élément principal du récit, a été excommunié par sa communauté juive aux Pays-Bas pour athéisme.
Parle-t-on si souvent, lorsqu'on évoque l'inquisition qui a exterminé cathares, vaudais, béguines, templiers, protestants, musulmans et donc juifs, de ces communautés juives, qui ont été massacrées, et poussées à l'exil dans des contrées ou l'Église catholique n'avait que peu d'influence. Pas vraiment. Et c'est sur ce sujet épineux que s'appuie
Rachel Kadish, qui nous reconstitue fidèlement un contexte historique et religieux littéralement passionnant de façon très didactique, en ne tombant pas dans le piège de l'excès de détails. Et c'est avec passion que l'on suit les traces de ces communautés juives espagnoles et portugaises, les séfarades, qui trouvent refuge aux Pays-Bas et dont une poignée d'entre eux sont partis à Londres répandre la parole de la Torah
Et surtout, la lumineuse et brillante Ester Velasquez, la jeune fille orpheline au service du rabbin aveugle de la communauté, une jeune fille éduquée, à la destinée chaotique, éclaire les recherches d'Aaron et d'Helen, et cette lecture. C'est le personnage du roman, celle qui aspire à autre chose qu'un mariage et des enfants à élever. Celle qui ose aspirer à autre chose, vivre pour et par ses idées, nées de l'éducation qu'elle a eu le privilège de recevoir. C'est celle qui représente la subversion ultime, par définition, au sein d'une communauté, certes torturée et anéantie, mais qui reste encore fortement cadrée par le carcan de leurs traditions religieuses, domestiques, éminemment paternaliste. Une féministe avant l'heure, dissidente, résistante, qui se sert de l'écriture, la copie, pour s'émanciper. En tant que lectrice, femme, bloggeuse du XXIe siècle, catholique par héritage, j'ai été fascinée par cette femme, du début à la fin, non pas tant par notre attachement commun aux livres, mais par le courage qui est le sien de vivre dans une époque qui n'est pas la sienne.
Mais je m'emporte et ne vous parle que d'une partie du roman, à mon sens, la meilleure. Les chapitres alternent d'une époque à l'autre, laissant au lecteur vivre la découverte et la transcription des manuscrits de concert avec Helen et Aaron, notre improbable duo, qui vire parfois au comique de répétition, à la Laurel et Hardy, tellement ils appariassent dissemblables.
Beaucoup de pistes de réflexions sont abordées ici, qui m'ont interpellées, notamment sur la légitimité, ou non, des personnes non-juives, ou goy si je ne fais pas erreur, à traiter des matériaux précieux liés au judaïsme, et donc à s'en approprier le travail, la découverte et tout ce qui va autour, le mérite, la renommée, la satisfaction, la considération par ses pairs universitaires, et surtout, d'avoir son nom de fait lié aux documents.
Rachel Kadish ne tranche pas dans le vif, même si on peut comprendre le point de vue d'Aaron, et celui de ceux en général qui partagent le même point de vue, qui ressentent un fort sentiment d'injustice d'être à nouveau dépossédés de leur culture. Elle opte pour un compromis entre un Aaron Levy avec qui elle partage la même religion (et tout comme elle, il est américain), et Helen, femme qui doit encore plus que les hommes faire ses preuves pour être reconnue.
réflexion sur l'érudition et le savoir, en rapport ou non avec la religion, judaïsme ou chrétienté. L'importance du savoir qui s'identifie avec la liberté individuelle. Sans oublier, évidemment, la présence du philosophe des modernes rationalistes, Baruch
Spinoza, qui a élaboré le concept de Deus sine Natura, l'identification de Dieu à la nature, malgré l'herem dont il sera frappé, et qui le mettra au ban de sa communauté. C'est peut-être dans les passages teintés de philosophie spinozienne que mon attention a pu parfois faiblir.
Les éditeurs ont eu l'excellente idée de retranscrire une interview de l'auteure en fin de livre et je trouve que c'est une formidable idée, qui devrait être mise en application à chaque fois. Qui de mieux pour parler du livre que son propre concepteur? Grâce à l'interview, nous prenons conscience du cheminement de l'auteure, de la somme de travail, en particulier de recherches documentaires, qu'elle a dû abattre. C'est une ressource infiniment précieuse, et j'en félicite la maison d'édition. J'ai bien envie de découvrir d'autres romans dans la même veine car l'histoire du judaïsme est un sujet, décidément, que j'apprécie et que j'aimerais creuser davantage. Je remercie encore les éditions
Cherche-Midi ainsi que Léa du PicaboBookRiverClub de m'avoir permis de découvrir ce beau roman et Ester Velasquez.
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