Gregor Samsa se métamorphose, inexorablement son enveloppe charnelle se modifie ; il ne le sait pas encore. Cette transformation s'opère alors qu'il parcourt le pays en sa qualité de voyageur de commerce. le germe est déjà là et se développe lentement à l'intérieur de Gregor ; l'aliénation de sa condition sociale et professionnelle : il est une fourmi travailleuse parmi tant d'autres qui court sans fin dans tous les sens pour alimenter la fourmilière. La fourmilière ici est aussi bien l'entreprise pour laquelle il travaille que sa famille.
Gregor se réveille un matin parfaitement transformé, non pas en fourmi mais en cancrelat – certains traducteurs objectent pour une punaise – insecte d'emblée beaucoup moins sympathique. Kafka décrit cela comme une banalité, presque une évidence ; Gregor Samsa était destiné à devenir un cafard. Kafka le nomme « insecte » et non pas cafard, punaise, scarabée, etc... Comme il ne précise pas dans sa nouvelle «
Le terrier » de quelle origine est la bête dans
le terrier. Oui, Gregor Samsa est devenu une bête et à la différence des princes charmants des contes de fées devenus grenouilles qui retrouvent leur aspect d'origine, lui n'aura aucun retour en arrière : c'est une métamorphose irréversible.
Gregor a sacrifié sa vie à son travail (pour peu de reconnaissance et un certain mépris), à sa famille (qui s'est déchargée sur lui de tous les soucis matériels de la maison – vivant sur son dos, lui demandant toujours plus). Nous le trouvons au début du récit se réveillant et essayant de sortir de son lit ; la scène est grotesque et pathétique, presque comique comme souvent chez Kafka. Ce jeune homme qui se débat avec toutes ses pattes qu'il ne maîtrise pas encore est absurde. Gregor Samsa avec opiniâtreté, s'emploie dans la première partie de la nouvelle à contrôler sa nouvelle condition – il s'efforce de se déplacer correctement, de parler le plus distinctement possible, car il a gardé sa voix, pour l'instant. Car il veut expliquer au Fondé de pouvoir, venu à l'appartement pour connaître la raison de son retard à son poste, que cette métamorphose n'est qu'un incident passager, une maladie bénigne et que tout va rentrer dans l'ordre ; c'est aussi ce qu'il veut faire entendre à sa famille pour les rassurer mais d'emblée, son entourage ne l'écoute pas et devient son ennemi.
Gregor Samsa garde dans son intériorité toute sa réflexion et qualité d'homme. Dans son esprit, il n'a pas changé, pas régressé. Son cerveau ne s'est pas atrophié, son coeur a toujours les mêmes sentiments de dévotion, d'amour et de tendresse pour sa famille (à sa mère et sa soeur en particulier). La perte de la parole ne peut pas lui permettre de faire comprendre à cette famille qu'il n'a pas changé sauf en apparence.
Le père a fait faillite et traîne de façon lamentable à longueur de journée sans rien faire, laissant son fils trimer sans repos pour renflouer les dettes, maintenir la maison, sans lui dire qu'il a mit de l'argent de côté. Et soudain, ce père ingrat et filou, du jour au lendemain après
la métamorphose de Gregor, trouve un travail, se pavane en uniforme et laisse s'exprimer son être violent vis-à-vis de son fils. Cette violence physique s'accentue tout au long de nouvelle, mais ce n'est pas ce père qui tuera Gregor.
La mère est une brave femme, malade, sans caractère, désolée et désemparée devant la catastrophe familiale ; son rôle est ambigu ; elle plaint son fils mais ne l'aide pas ou ne le protège pas.
La soeur Grete est une jeune fille de dix-sept ans jouant du violon, paraissant au premier abord compatissante et aidante mais ce n'est qu'une enveloppe factice ; prenant les choses en main de façon énergique et dictatoriale, elle révèle vite son animosité vis-à-vis de son frère. Elle le nourrit mal, pousse sa mère à l'aider à vider sa chambre – Gregor se retrouve sans rien – plus de meubles pour se cacher, pour avoir encore l'impression d'appartenir au monde des humains. Elle ne le nomme plus ; c'est une chose, « ça » ; une intrusion dans la vie familiale dont il faut se débarrasser. Où est passée la charmante fille du début de l'histoire ? Mais n'est-ce pas Gregor qui la voit ainsi ? Son
regard fraternel. Dans la dernière partie de l'histoire sa soeur le laisse vivre dans une saleté repoussante qui ne fait qu'accentuer son apparence monstrueuse. Elle le laisse mourir de faim et à la fin du récit, Gregor n'est qu'une pauvre chose racornie et plate dans un coin de sa chambre vide. On s'en débarrasse comme d'un déchet, avec soulagement. La fin de la nouvelle nous montre une famille qui savoure sa vie future avec moult projets comme si un membre de la famille n'avait jamais existé. Grete prend son envol, déploie ses ailes ; elle est tellement épanouie que ses parents songent à la marier.
D'humain à animal, sa famille l'a relégué à l'état d'un objet encombrant et les parents délèguent à leur fille la tâche de s'en occuper et de s'en débarrasser. Gregor Samsa est déshumanisé mais aussi défait de sa condition animal ; même cela lui est enlevé.
Certains ont vu cette métamorphose comme un sujet de révolte ; Gregor Samsa se transforme pour échapper à sa vie et pour manifester sa dissidence il choisit d'afficher une différence implacable ; changer d'apparence.
D'autres ont vu la vision kafkaïenne de la société aliénante et étouffante ; c'est un sujet récurrent chez Kafka. Là on pourrait dire qu'il est poussé à son paroxysme.
Il ne faut pas oublier le comique de situation dans Kafka et dans
la Métamorphose il est bien présent : Gregor se débattant avec son nouveau corps, sa voix changeante ; l'attitude de la famille et le Fondé de pouvoir ainsi que les colocataires : les cris, les évanouissements, les colères dignes d'une pièce de boulevard.
Mais la question en fait est qu'est-ce qu'être humain et en arrière plan (ou pas) qui mérite cette définition ? Jusqu'où va la notion d'humanité ? Est-on prêt à la daigner à tout individu qui serait trop différent ? Pour des raisons intrinsèques à des normes idéologiques ? Politiques ? Religieuses ? Sociétales ?