Il y a quelque chose de plaisant à être suspendu là-haut.
La vue est splendide et mon corps gelé se balance agréablement au gré du vent. Je peux laisser voguer mes pensées dans toutes les directions. Ici règne un calme que je n'ai jamais connu auparavant et que je n'imaginais même pas pouvoir exister.Ma voix a changé, mon regard aussi. Je suis devenu la personne que je voulais être.
Elle pense tout à coup qu’elle a déjà vu ce regard sur de nombreuses personnes assassinées. Tout revient à l’origine lorsque l’on se retrouve face à la mort. On revient à l’état de nouveau-né, apeuré, affamé, mais capable de s’étonner.
C’est ce qu’elle fait toujours lorsqu’elle est confrontée à de telles scènes. elle s’échappe en pensée, se souvient d’articles qu’elle a lus et tente de rapprocher ce qu’elle voit de la théorie.
Les yeux.
Elle y distingue avant tout de la colère.
Les pauvres, les fous, les immigrés, les handicapés. Tout le monde se fiche d'eux. Sauf quand il s'agit de se prouver à quel point sa propre vie est normale. Et qui sommes-nous pour juger la vie des autres ?
Pour tous les enfants que personne ne voit, qui sont livrés à eux-mêmes et dont les parents ne s'occupent pas, le monde qui les a abandonnés devra en assumer les conséquences, pense Malin.
C 'est si facile pourtant. Occupez-vous de ceux qui sont petits et faibles. Donnez-leur de l'amour. On ne naît pas méchant. On le devient. La bonté de l'homme, elle existe, je le crois vraiment. Pas maintenant, pas ici, dans cette forêt où le Bien s'en est allé depuis belle lurette. Ici, il ne s'agit plus que de survie.
Mais Malin remarque que son thorax se soulève et redescend faiblement, qu'elle chancelle dans le vent.
Malin sent la froidure du solstice d'hiver lui mordre le visage quand elle descend de sa voiture. La saison commande les sens, éteint les corps et raccourcit l'écart entre impression , pensée et action. Une femme nue dans un champ. Cette affaire est de plus en plus délirante.
La porte de la voiture se ferme avec fracas, mais c'est comme si sa propre force n'avait pas provoqué ce bruit. Cette femme doit avoir froid.
Malin s'approche sans un mot, elle n'est bientôt plus qu'à quelques mètres d'elle. Son visage est complètement paralysé et ses cheveux noirs de jais sont noués en natte dans son dos.
La plaine s'étend autour d'elle à perte de vue. Cela ne fait même pas une semaine qu'ils ont retrouvé le corps de Bengt le Ballon à cet endroit, mais le cordon de sécurité est déchiré, et la neige tombée depuis n'a pu recouvrir tous les déchets qu'ont laissés es curieux: mégots de cigarette, bouteilles vides, boîtes de hamburgers.
Le silence est l'arme la plus redoutable de l'âme.
Vous entendez ce murmure?
Ce chuchotement inlassable.
Le marmonnement de la mousse.
On dira que ce sont les morts qui chuchotent. Les morts, et les morts encore vivants.
« Le silence est l’arme la plus redoutable de l’âme. »
« C’est bon, tellement bon d’être débarrassé de tous les soucis des vivants. »
C'est vraiment rare de pouvoir faire ce pour quoi on est vraiment doué. Tu dois regarder droit devant mais ne te fie pas seulement à tes yeux, suis aussi ton instinct.