Citations sur Avec tes mains (16)
C’est triste une main d’homme qui n’a jamais tenu un livre entre ses doigts.
Même si ce sont aujourd’hui les miens, tous ces gestes t’appartiennent. Ce que tu n’as pas su dire en paroles s’est imprimé dans mes yeux, et je reproduis ces gestes à mon tour. Ce sont comme des mots qui reviennent, ce langage des mains, celui que tu as pratiqué jusqu’à l’épuisement.
« Travail, famille, patrie », la devise du Maréchal avait laissé des traces dans les mentalités. C’était encore le temps du travail souverain, la reconnaissance passait d’abord par le fait de manier la truelle, la pelle ou la bêche. Si tu maniais mal la langue de France, et que, contrairement aux autres, tu ne savais pas lire le journal, tu pouvais au moins, grâce à tes bras, te rallier à la valeur commune, te soumettant de bonne grâce à cette vertu collective.
Un changement s’opère ainsi sous tes yeux, à ton insu, et même si tu ne comprends pas ceci est ta réussite. Nous ne mendierons plus. Tes enfants aux airs ingrats, en allant vers leur vie d’hommes, tracent un nouvel avenir à ceux qu’ils auront un jour. Par le fruit de tes mains nous avons mangé, cheminé vers l’instruction. Malgré nos penchants pour l’école buissonnière, nous avons mis les mots de notre côté, poussé du pied la porte pour que s’entrouvre l’horizon.
Au début de l’exode, le mot France voulait dire de l’argent et de la nourriture. Ce sont au fil des ans des enfants, beaucoup d’enfants. Avec ces naissances, le mal du pays se transforme. Parce nous prenons place naturellement ici, votre pays de cocagne se dérobe sous vos pieds, s’effiloche.
Depuis l'enfance tu nous regardes grandir, avec si peu de gestes d'affection. Pris par l'instant qui file, vous pensiez que la tendresse était innée, naturelle, qu'elle n'avait pas besoin, pour se transmettre, de regards, d'attention, de mots simples et d'un filet de voix calme. Vous vous êtes trompés, ce n'est pas injure de le dire, vous n'y pouviez rien. Les enfants que nous sommes grandissent à vos côtés. Nous nous chamaillons entre frères, sans nous inquiéter de ce manque d'échange avec les parents, le trouvant naturel au bout du compte. Une forme de manque d'amour dont nous ne nous remettrons jamais.
Aujourd'hui, je t'invente peut-être des lambeaux de vie pour peupler ces blancs, combler cette carence affective mutuelle. Pourront-ils dire combien tu as souffert et ce que nous avons enduré ?
A présent, pour dix mille francs, on vous propose de quitter dignement la France. Une existence de privations pour une somme dérisoire et, solde de tout compte.
Vous n'avez même pas le courage de sortir de vos poches les rares photos de vos femmes, de vos enfants, de vos mères. En pensant à eux, vous vous rendez à la poste la plus proche pour envoyer un mandat, un peu d'argent qui ne remplace pas la tendresse, ne dit rien de ce qu'il vous coûte d'humiliation, de fatigue. L'argent s'en va, c'est l'essentiel. De l'autre côté, ces quelques billets représentent une manne, de quoi nourrir une famille pendant une quinzaine de jours ou un mois.
L'adversité ne te surprend pas, cette apparente misère non plus, et malgré les tracas, pendant longtemps, personne n'osera s'avouer qu'il vit un mauvais rêve, qu'il traverse un désert. Vous partiez en exil dans l'euphorie, vers l'espoir, le rêve d'un argent amassé rapidement et vous vous levez chaque matin avec l'impression d'entrer ou de sortir d'un cauchemar.
Pris par le temps qui file, vous pensiez que la tendresse était innée, naturelle, qu'elle n'avait pas besoin, pour se transmettre, de regards, d'attention, de mots simples et d'un filet de voix calme. Vous vous êtes trompés, ce n'est pas injure de le dire, vous n'y pouviez rien. Les enfants que nous sommes grandissent à vos côtés. Nous nous chamaillons entre frères, sans nous inquiéter de ce manque d'échange avec les parents, le trouvant naturel au bout du compte. Une forme de manque d'amour dont nous ne nous remettrons jamais.
Aujourd'hui, je t'invente peut-être des lambeaux de vie pour peupler ces blancs, combler cette carence affective mutuelle. Pourront-ils dire combien tu as souffert et ce que nous avons enduré?