Je ne vais pas être objective en vous parlant de ce livre avec lequel j'ai fait une vraie rencontre – je vais donc placer mes propos sur du ressenti plus que sur de l'analyse (je laisse cette dernière aux "vrais" critiques:p)
Vous ne savez pas qui est
Frigyes Karinthy ? Peu importe, la préface vous l'apprendra avec force détails. Un homme de génie, de pastiches, écrivant « à la manière » de ses contemporains, avec élégance, finesse et esprit. Hongrois, décédé en 1938 dans la région féérique du lac Balaton.
Frigyes est un écrivain reconnu du public et de ses pairs, époux et père comblé, entouré de nombreux amis et fréquenteur assidu d'un café de la place de l'université. Il passe dans l'existence comme si rien ne pouvait l'atteindre.
Et, lorsqu'il contemple le malheur de ses congénères, il ne lui vient pas à l'esprit qu'un malheur similaire puisse le frapper lui. Il en est de lui comme de certains de ceux qui sont nés sous une bonne étoile : le talent, l'insolence, la maîtrise. A noter que la deuxième sans le premier ni la troisième serait superbement ridicule.
Cette rêverie du contrôle est telle qu'il expliquera à son fils être persuadé de pouvoir, en se concentrant, déterminer de quelles zones de son cerveau lui viendrait telle et telle idée.
Un jour, attablé dans son café, il entend un grondement de train, ou de machine. Ce qui ne serait pas troublant si, justement, il n'y avait aucun rail aux alentours. L'incident se réitère. Mais Frigyes prête cela à sa petite voix – compagne de ses dialogues intérieurs qu'il avait lorsqu'il était petit.
Et petit à petit les failles vont se multiplier sur le miroir. Décalages de perception. Absences. Hallucinations visuelles et auditives. Frigyes, splendide autruche, se borne à feindre de croire à un malaise passager.
Ce dernier s'aggravant, il consulte sciemment des médecins qui lui diront ce qu'il a envie d'entendre : intoxication à la nicotine, menus troubles physiologiques … Ce refus, ce déni de la maladie est abordé avec une plume vive, drôle et mordante. « L'autruche se défend » est l'un des titres choisis, ce qui illustre bien le recul que peut prendre l'auteur par rapport à son comportement de l'époque.
Malheureusement, le diagnostique tombera tout de même : tumeur cérébrale. Ce qui à l'époque donne très peu de chance de survivre à l'opération. Car opération il doit y avoir.
Frigyes narre avec un humour corrosif ses pairs venus le voir à l'hopital et l'enterrer avant l'heure, ses divagations et ses imprécations à l'encontre de cette machine, ce compagnon de route, qui ne lui obéit plus et lui fausse compagnie.
Et l'opération … Un autre grand moment, avec des descriptions proprement renversantes.
Ce livre est une exploration virtuose des liens entre l'esprit et le corps, l'âme et la machine, lorsque cette dernière décide de ne plus aller où l'âme tente de la guider.