Les Revenants, par
Laura Kasischke. Il y a des romans qui se singularisent par le style, une écriture originale, poétique ou disloquée, ténébreuse ou lumineuse, élégante ou ordurière, d'autres par la description psychologique des personnages, insistant sur leurs pensées, leurs doutes, leurs décisions, leur force ou leur fragilité, d'autres par leur construction, le rythme des chapitres, le montage d'une intrigue, la distillation subtile des indices qui annonceront la chute. Certains livres se dégustent, d'autres s'avalent, se dévorent.
Les Revenants appartient à cette catégorie de romans vertébrés, bien construits, et qu'on ne lâche pas.
Un thriller ? Oui, mais porté sur l'analyse d'une microsociété de jeunes, d'étudiants, d'intellectuels, et d'une institution, un campus universitaire avec sa hiérarchie, ses règles, ses codes et ses confréries secrètes. L'intrigue se noue autour d'un accident où une jeune fille, Nicole, trouve la mort, et d'une "sororité" à laquelle appartenaient Nicole, ainsi que Denise, qui pourrait être une victime d'un obscur rituel de résurrection. Car on peut être étudiant, brillant, et s'astreindre à des bizutages d'une autre époque, des sortes de messes noires, de séances d'envoûtement ou de manipulation mentale. On est en Amérique, non ?
Silences et impunités, rumeurs, version falsifiée des faits et néanmoins officielle, tentent de maîtriser le déroulement des évènements sous la férule de la sororité et de complicités hypocrites. Mais quelques étudiants, une professeure d'anthropologie, une assistante en musicologie, ensemble ou séparément, cherchent à dénouer une affaire qui s'annonce véreuse, sans échapper à quelques drames, ni à diverses interrogations vraies ou fictives, visions, cauchemars, croyances. Mort et thanatologie sont au centre de ces croyances qui font l'objet d'un traitement particulier, conditionnant les esprits, même les plus rationnels, mais aussi teintant le livre de concepts scientifiques sur la mort et la "vie" après la mort dans diverses sociétés.
L'analyse des personnages est fine, chacun s'illustre par des traits de caractère bien trempés, bien ajustés. Nicole en particulier, un ange blond, une vierge promise à Craig, et qui s'avère être double, vicieuse, manipulatrice, voire malfaisante.
Tout tend donc vers le dénouement de ce roman "palpitant". Va-t-on savoir la vérité ? On saura que la version officielle n'est pas la bonne, mais cela se dit sans l'apothéose que sa découverte mériterait, comme si l'important n'était pas là. Personne ne savoure vraiment sa victoire, les destinées s'éclatent, s'éparpillent, et une certaine frustration s'invite dans les dernières pages. Au lecteur de reconstruire l'intrigue, même s'il lui reste encore quelques questions. Il était question de fantômes ? Eh bien, ils ne sont pas tous dissipés, mais c'est égal, la fascination n'est pas seulement là.