Autour de Rita

Il y a du mouvement au 313, deux infirmières sortent le lit, le laissent dans le couloir. Dessus, il y a la femme qui regarde le plafond, non elle le fixe, elle s'est concentrée sur le plafond. Ses mains sont posées sur son ventre en dessous des draps, je vois leur immobilité. Ses yeux sont dans le plafond et des larmes coulent dans ses oreilles suivant un unique sillon. Larme après larme dans un silence impensable. Combien de temps vont-ils la laisser là, offerte en pâture aux regards apitoyés et aux commentaires crétins?

- C'est moi, ma chérie. J'ai vraiment fait le con. Je m'en veux tellement, tu sais. Il a fallu ça pour que je comprenne à quel point je tenais à toi. Je veux qu'on ait des enfants, Nadine. Plein d'enfants. Accroche-toi. Le docteur dit que ça va aller. Que tes poumons sont vachement arrangés. Que ta chance, c'est ton physique. Qu'avec un physique comme le tien, on se sort de tout. Tu m'entends, quend je te parle? Ta peau n'a rien. Pas une brûlure. Tu es si belle, Nadine. Tu m'entends? Je ne boirai plus, Nadine. Plus jamais. Il dit aussi que tu as probablement perdu l'odorat, que ce serait irréversible. Tout va aller bien, ma chérie, je suis avec toi. On se passera de ton odorat. Tu m'entends?

J'étais si belle dans ses yeux. J'étais une femme, moi qui de grossesses en allaitements pensais n'être plus pour les hommes qu'une mère comblée. Moi, la mère, j'étais femme océan et Carl plongeait et replongeait dans les vagues de mon plaisir. La terre se mouillait de nos sueurs, nous collait. Carl m'aimait. Moi. Moi. Ce soir, Carl n'en finissait pas avec son désir de moi. Carl comme une bête. Carl dans le chant de mon plaisir. Carl et moi, dans la terre et l'océan.

- Tu veux que je te raconte l'odeur de ton bébé, cette odeur unique que l'enfant a, au sortir du ventre de sa mère, ce parfum de vos vies emmêlées?
- Je connais son odeur, Rita. Je la connais mieux que tout déjà.

Les conseils fusent. Respire bien. Tout va bien se passer. Reste calme. Vous n'êtes plus des petites filles, des épouses délaissées, des amantes brûlantes. Vous êtes des mères, vous savez tout de ce moment incroyable. Vous êtes des femmes. Magnifiques.

Il va presser un jus d'orange pour Rita en houspillant par habitude les enfants qui traînent par amour dans ses pieds.

Je les ai mises au lit à grands coups de tendresse, d'histoires et, ma foi, de patience.

Je l'ai bercée tant et tant que je ne sais plus rester debout sans me balancer sur un pied puis sur l'autre.