AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


C'est étrange comme parfois un livre peut s'harmoniser avec la musique que l'on écoute au moment où l'on s'y précipite. Quand j'ai ouvert « A la grâce des hommes », « Florence and the machine » égrenait dans l'appartement les titres mélancoliques jusqu'au désespoir de « Ceremonials » et c'est fou comme ces chansons ont épousé cette histoire, comme la voix de Florence Welch qui chante avec autant de grâce que d'urgence, de douleur que de lumière aurait pu être celle d'Agnès Magnùsdottir, c'est dingue comme l'univers du roman qui oscille entre brutalité et sensibilité se coule dans la musique tribale et raffinée, quasi-mystique du groupe… Cette sensation dit bien assez combien j'ai aimé le roman de Hannah Kent que j'ai trouvé à la fois beau et bouleversant, dur, cruel mais infiniment bien écrit.
« A la grâce des hommes » qui s'inspire d'une histoire vraie nous transporte en Islande, au temps où l'île était encore sous la domination du Danemark, en 1828 et nous fait l'offrande d'une histoire poignante sous la cendre de laquelle couvent l'injustice et la colère, les larmes et des cris, celles d'Agnès. La jeune femme, un peu plus de trente ans et cheveux noir corbeau, a été reconnue coupable de l'assassinat de Natan Ketilsson, son employeur et amant, et d'un ami de ce dernier. A l'instar de l'un de ses deux complices, elle est condamnée à mort. Dans ce pays de neige et de givre, de tempêtes et de bourrasques, il n'y a pas d'autres prisons que celles que l'on s'invente, aussi la meurtrière est placée comme servante à Kornsa, dans une famille de fermiers. Jon et Margret ont deux filles, deux adolescentes et ne voient pas d'un bon oeil l'arrivée d'Agnes dans leur foyer. Une criminelle, une femme de mauvaise vie, une furie !.. Ils n'ont pourtant pas le choix et malgré la violence de leur prévention accueille la condamnée. S'ils lui laissent une paillasse où s'étendre et la liberté d'aller et venir dans la ferme, les membres de la famille s'arrangent pour avoir le moins de contact possible avec Agnès qui crèverait de solitude sans les visites de Toti, un jeune révérend censé la préparer à affronter la mort et ses péchés.
Peu à peu pourtant et malgré la terreur, la mort annoncée et les rumeurs qui grondent, des barrières tombent et la voix d'Agnès s'élève enfin pour dire ce que tout le monde refuse d'entendre ou d'écouter, comme un cri trop longtemps réfréné.
« A la grâce des hommes » a quelque chose d'envoutant dû sans aucun doute à son cadre tout à la fois rude et grandiose. L'Islande du début du XIX°siècle dépeinte par Hannah Kent est âpre, cruelle toute entière façonnée de tourbières et de neige. Elle est glace. Elle est vent du nord. Elle est exigeante et gèle même ses enfants qui s'échinent à cultiver sa terre inféconde sans une plainte. C'est presque un pays de légende noire, comme les corbeaux qui tournoient au-dessus des cimes enneigés… Elle est neige, elle est volcan aussi et il est des brûlures qui font de grandes histoires et de sublimes personnages. Ce sont eux qui concourent ensuite à l'envoutement : Agnès est un personnage complexe, attachant, ambigu qui hante et emplie de sa présence chaque page, chaque pensée. Face à elle, les plus marquant sont Margret, incroyablement forte et lucide, Toti qui touche en plein coeur et Natan, sur qui le voile se lève peu à peu à un rythme qui rappelle celui de certains thrillers psychologiques..
Historiquement fouillé et très documenté le roman est par ailleurs très joliment écrit et joue habilement des points de vue, titillant les lecteurs avec cette narration éclatée où plusieurs voix s'élèvent et se confrontent. Certains passages sont absolument bouleversants tel l'incipit qui m'a saisie à la gorge dès la première phrase…
Et puis cette intrigue prenante, vibrante, bouleversante. Ce destin d'une femme seule dès l'enfance, aux prises avec la solitude et le désir changeant des hommes. Cette voix qui s'élève et qui dit sa vie, dans toute sa brutalité, sa vérité, et cette envie de pleurer et de tout casser à la dernière page. Parce que c'est trop dur, parce que c'est atroce et parce que c'était une femme.
D'une certaine manière, le roman m'a rappelé « Captive » de Margaret Atwood, le venin en moins et la lumière en plus, pour son atmosphère lourde, oppressante et son désespoir et son engagement ardent… Il m'a rappelé et la beauté crépusculaire de « Never let me go », de « No light, no light » et de « Seven devils ».
Triste, mais terriblement beau, comme les sanglots De Musset.


Commenter  J’apprécie          161



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}