Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont.
"la patrie notre mère,la guerre notre belle-mère",Anton lui avait appris ce dicton un soir où ils avaient bu de la vodka glacée et fumé du haschich sur le toit d'un immeuble du boulevard Raspail,après quoi il avait conclu,irrésistible,l'index vrillant contre sa tempe,tu vois un peu le pays de dingues?Tu vois un peu les gros malades?
Putain la Sibérie!Voilà ce qu'il pense une pierre dans le ventre,et comme pris de panique à l'idée de s'enfoncer plus avant dans une terre de bannissement,oubliette géante de l'empire tsariste avant de virer pays du goulag.
il semble qu'au-delà de Novossibirsk la Sibérie demeure ce qu'elle a toujours été:une expérience limite.Une zone floue.
Ici ou là,donc,ce serait pareil;ici ou là,qu'est-ce que ça change?
Toujours le même déploiement lent et massif du paysage, toujours la même foulée calme du train, soixante kilomètres heure c'est une vitesse idéale pour voir se lever les montagnes qui désormais agitent le paysage, pentes décisives tapissées de résineux sombres qui dévalent vers les rails, royaumes des ours. Au sortir d'un tunnel, le relief a envahi la vitre et occulté le ciel tout entier, laissant au voyageur le soin d'inventer le hors-champ le plus plausible pu le plus fou, mais Hélène n'a plus besoin d'inventer quoi que ce soit, tout se passe là, en face d'elle : il lui suffit de voir le soldat endormi sur la couchette pour sentir que se présence est saugrenue, déplacée..