AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de YvesParis


La traudction de cet ouvrage pionnier de Ian Kershaw était attendue. Initialement publié en 1980 en langue allemande "Le mythe Hitler" s'intéresse moins à Hitler lui-même – auquel Kershaw allait consacrer en 1999 une monumentale biographie – qu'à la façon dont les Allemands ont vu Hitler. A l'époque Ian Kershaw travaillait avec Martin Broszat, à Munich, sur la Bavière à l'époque nazie, et plus spécialement sur l'opposition au régime. Et c'est à l'occasion de cette recherche – qui allait déboucher en 1983 sur la publication, en anglais, d'une étude remarquable traduite en 1995 seulement au CNRS "L'opinion allemande sous le nazisme Bavière 1933-1945" – que Kershaw s'est intéressé à « l'autorité charismatique » de Adolf Hitler. La version qui nous est aujourd'hui livrée de ces recherches est celle, légèrement remaniée, de l'édition britannique de 1987.

Dans un style d'une parfaite limpidité, Kershaw montre comment Hitler a répondu à une demande du peuple allemand : celle d'un chef héroïque et visionnaire capable de sortir l'Allemagne du marasme économique des années 20, de rompre avec les manoeuvres politiciennes de la République de Weimar, d'éloigner le spectre du communisme et de restaurer l'orgueil national trahi par l'infamant Traité de Versailles.
Bizarrement, l'opinion publique a entretenu à l'égard de Hitler et à l'égard du NSDAP des sentiments différents, quasiment jusqu'à la défaite. Alors que les « petits Hitler », au contact direct de la population, furent bien vite rendus responsables de l'écart grandissant entre les grandioses promesses du programme nazi et la lamentable réalité de la vie quotidienne, Hitler était expressément exclu de toute critique. L'idée s'était en effet très tôt répandue que Hitler était maintenu dans l'ignorance des abus incessants de ses subalternes. Cette croyance protégeait Hitler de l'impopularité dont étaient l'objet les membres de son parti.
La vérité était bien différente, le fonctionnement extrêmement centralisé de l'Etat hitlérien, décrit par Martin Broszat garantissant une information assez fine du Chef de l'Etat. Mais les Allemands ne l'ont réalisé que tardivement, avec Stalingrad, lorsque la responsabilité directe de Hitler dans la débâcle n'a plus pu être rejetée sur son entourage.

La séduction exercée par le Führer reposait sur une image faussée du véritable Hitler. Alors qu'il a été démontré que l'impérialisme et l'antisémitisme ont, depuis 1919 au moins, structuré la pensée politique de Hitler, le Führer n'a pas construit sa popularité sur ces deux idées. Bien au contraire. Face à une Allemagne dont on ignorait qu'elle avait été si pacifiste, Hitler prit soin d'apparaître comme un homme de paix, soucieux certes de laver l'humiliation subie à Versailles, mais veillant à y parvenir sans que soit tiré un seul coup de feu. D'ailleurs si l'Anschluss ou le règlement de Munich lui valurent une popularité accrue, elle était due au soulagement d'avoir évité la guerre. Quant à l'antisémitisme viscéral de Hitler, Kershaw montre qu'il ne fut guère partagé par la population et que, pour ce motif même, Hitler l'occulta de ses interventions publiques dès 1922 lui préférant un anitimarxisme autrement plus populaire.

Le mythe peut fonctionner durablement, même si un « abîme » (p. 307) le sépare de la réalité. En revanche, comme l'avait théorisé Max Weber, le leader charismatique est condamné à voler de succès en succès.
L'effondrement du mythe Hitler était inéluctable avec la prolongation du conflit. Très finement, Kershaw ne date pas ce reflux de Stalingrad : « L'apport du choc colossal provoqué par Stalingrad (…) a été d'ouvrir les vannes à une critique qui affleurait déjà » (p. 233). Il soutient que l'opinion s'est graduellement détachée de Hitler en 1942 lorsque l'espérance d'une victoire rapide s'est transformée en désir de paix et que l'incapacité du Führer à mettre fin à la guerre, sinon à la gagner, s'est peu à peu révélée.
Dans ces conditions, la rapide rédemption du peuple allemand dans les années 50 se comprend plus aisément. L'Allemagne n'était pas peuplée de fanatiques bellicistes et antisémites, mais de pauvres gens, fragilisés par la crise économique, déçus par l'impuissance de la classe politique, qui se sont laissés subjuguer par un « sauveur providentiel » (comme Raoul Girardet en a décrit dans "Mythes et mythologies politiques") qui leur a promis, et brièvement donné, l'amélioration de leur situation économique et la restauration de leur orgueil national.
Commenter  J’apprécie          290



Ont apprécié cette critique (25)voir plus




{* *}