Ce qui fait une des forces de
Gabriel Kevlec, c'est le pouvoir de ses mots ! Rien n'est laissé au hasard et chaque phrase trouve sa place sans tergiverser pour nous faire entrer, avec force et parfois douloureusement, dans un récit peu banal.
« Je m'appelle Thomas Alderson, et le 14 novembre 1965, aux alentours de treize heures, je suis mort. » le ton était donné…
Dès les premières phrases, je me suis retrouvée immergée dans l'histoire à coup de mots qui se faisaient tantôt crus, tantôt poésie ; tantôt durs et tantôt doux. le prologue prit alors vie avec une force presque insoutenable, dévalant les synapses de mon cerveau pour aller droit au coeur. J'ai alors réalisé qu'il y avait fort peu de chances que je ressorte indemne de cette lecture.
Plus que ça même ! Que Gabriel réussisse à émouvoir après chaque virgule n'est plus un secret pour personne mais il atteint le niveau supérieur quand en plus il le fait avec cette histoire surprenante, qui est comme un songe noyé dans l'éther. Les bruissements d'ailes d'un papillon virevoltant, qui s'ingénie inlassablement à poursuivre un souffle d'air fantôme. Une goutte d'eau dévalant l'épiderme tandis que celui-ci se hérisse de mille sensations indicibles. Un récit emprunt de tristesse et de mélancolie mais également de tellement d'amour ! Puissant et époustouflant. Oui,
Gabriel Kevlec a encore réussi son pari en nous livrant une vision onirique transcendant l'amour, jouant la partition poétique et érotique à laquelle il nous a habitués, chantant un hymne à la liberté, liberté d'être soi-même et liberté d'aimer.
Alors, totalement envoûtée, je me suis laissé bercer par la musique des mots et j'ai accompagné avec tendresse et tristesse un Thomas évanescent.
Je lui ai tenu la main lorsqu'il constatait, étonné, que la liberté sexuelle actuelle n'avait plus rien à voir avec les interdits des années 60, le laissant apprécier le contraste affiché entre ces deux périodes de l'histoire.
J'ai senti, en lui, ce vent de liberté qui soufflait et qui lui permettait enfin de s'avouer ce qui, il y a encore 50 ans, était encore vécu comme une aberration.
J'ai frémi en écho avec son esprit troublé lorsqu'il a posé ses yeux pour la première fois sur Adrian. Je l'ai vu se libérer de ses entraves et dire oui à cette passion qui montait comme un courant irrépressible.
Je l'ai senti vaciller, trembler et se perdre dans le souffle brûlant d'un amour sans limite. Et j'ai ressenti dans ma chair et dans mon coeur sa frustration, sa passion et sa peine lorsqu'il constatait que les jours s'écoulaient sans lui ou avec lui tel un observateur invisible. Un observateur si près et à la fois si loin de toucher d'un doigt caressant et aimant l'homme dont il tombait irrémédiablement amoureux.
Et pourtant…
N'est-ce pas fabuleux de suivre le souffle puissant d'un jeune homme dont l'essence a transcendé les âges pour venir se poser délicatement dans les rues d'un San Francisco méconnaissable, celui du 21ème siècle ? N'est-ce pas merveilleux de se fondre au coeur brûlant de sa folie ? Pas une folie furieuse, non ! Mais la folie douce d'un amour insaisissable et inconcevable, celui d'un homme…
Un homme mort sur le champ de bataille, un 14 novembre 1965…