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Citations sur Ce que le jour doit à la nuit (626)

Je me sentais seul.
Jje pensais à relancer de façon concrète les recherches pour retrouver ma mère et ma soeur. Dieu ! qu'elles me manquaient ! J'étais infirme, sans elles, et inconsolable. Il m'était arrivé, au gré des conjonctures, de retourner à Jenana Jato dans l'espoir de forcer une bribe d'information susceptible de m'orienter. Là encore, je me trompai de distances. L'heure était à la survie. Aux priorités. Aux furies en gestation. Qui se souviendrait d'une misrable femme flanquée d'une fille handicapée ? Les gens n'avaient pas que ça à faire. Il y avait trop de monde qui débarquait nuit et jour, à Jenane Jato. Le coupe-gorge de naguère, tapi derrière les broussailles et les huttes, se muait en vrai quartier, avec ses ruelles tapageuses, ses charretiers acrimonieux, ses boutiquiers sur leurs gardes, ses hammams pleins à craquer, ses chaussées asphaltées et ses échoppes tabagiques.
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J’ai énormément aimé cet homme. Aussi loin qu’il m’en souvienne, au plus profond des convictions du vieillard que je suis devenu, aucun être ne m’a renvoyé ; avec une aussi splendide clarté, ce que j’estime être la plus accomplie des maturités : le 𝑑𝑖𝑠𝑐𝑒𝑟𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 - cette valeur, si orpheline de nos jours, qui grandissait mon peuple du temps où l’on ne donnait pas cher de sa peau.
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Nous sommes seuls au monde. Nous nous serrons très fort, comme autrefois nous serrions à bras-le-corps nos songes, persuadés qu'au moindre relâchement ils nous échapperaient. Nos carcasses usées jusqu'à la moelle se soutiennent, se maintiennent debout dans la tornade de nos gémissements. Nous ne sommes plus que deux fibres à vif, deux fils électriques dénudés menaçant de se court-circuiter, deux vieux mioches subitement livrés à eux-mêmes et qui sanglotent sans retenue devant des inconnus.
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Je tourne en rond autour d'un abîme, funambule sur le fil du rasoir, volcanologue halluciné au bord d'un cratère en ébullition ; je suis aux portes de la mémoire, ces infinies bobines de rushes qui nous archivent, ces grands tiroirs obscurs où sont stockés les héros ordinaires que nous avons été, les mythes camusiens que nous n'avons pas su incarner, enfin les acteurs et les figurants que nous fûmes tour à tour, géniaux et grotesques, beaux et monstrueux, ployés sous le fardeau de nos petite lâchetés, de nos faits d'armes, de nos mensonges, de nos aveux, de nos serments et nos abjurations, de nos bravoures et nos défections, de nos certitudes et nos doutes ; bref, de nos indomptables illusions ....
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Si tu veux faire de ta vie un maillon d'éternité et rester lucide jusque dans le coeur du délire, aime ... Aime de toutes tes forces, aime comme si tu ne savais rien faire d'autre, aime à rendre jaloux les princes et les dieux .. car c'est en l'amour que toute laideur se découvre une beauté.
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Je l'avais revue quelques jours plus tard, sur l'avenue principale de Rio. Elle sortait d'une boutique, son chapeau blanc telle une couronne sur son beau visage. Les gens se retournaient sur son passage ; elle ne les remarquait même pas. Raffinée, le port noble, elle ne marchait pas ; elle cadençait la foulée du temps.
J'étais hypnotisé.
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Jenate Jato croulait sous le poids des rêves crevés. Des gamins livrés à eux mêmes tanguaient à l'ombre de leurs aînés, ivres de faim et d'insolation ; ils étaient des drames naissants lâchés dans la nature, repoussants de crasse et d'agressivité, courant pieds nus pour s'accrocher à l'arrière des camions, slalomant sur leur caricou au milieu des charrettes, hilares et inconscients, flirtant avec la mort au gré des accélérations. Par endroits, ils se regroupaient autour d'un ballon en chiffons ou d'une partie musclée ; il y avait dans leurs jeux terrifiants des élans exaltés, suicidaires à donner le vertige.
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Si la ville était une illusion, la campagne serait une émotion sans cesse grandissante ; chaque jour qui s'y lève rappelle l'aube de l'humanité, chaque soir s'y amène comme une pause définitive. J'ai aimé Rio d'emblée. C'était un pays de grâce. On aurait juré que les dieux et les titans avaient trouvé en ces lieux de l'apaisement. Tout paraissait rasséréné, délivré de ses vieux démons. Et la nuit, lorsque les chacals venaient chahuter le sommeil des hommes, ils donnaient envie de les suivre au fin fond des forêts. Il m'arrivait parfois de sortir sur le balcon pour tenter d'entrevoir leurs silhouettes furtives parmi les feuillages frisés des vignobles. Je m'oubliais des heures durant à tendre l'oreille aux moindres bruissements et à contempler la lune, à l'effleurer de mes cils ...
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Aujourd'hui encore, je me demande si, tout compte fait, le monde n'était qu'apparences. Vous avez une bouille en papier mâché et un sac de jute par-dessus votre ventre creux, et vous êtes pauvre. Vous vous lavez la figure, donnez un coup de peigne dans vos cheveux, enfilez un pantalon propre, et vous êtes quelqu'un d'autre. Cela tenait à si peu de chose. A onze ans, ce sont des éveils qui vous désarçonnent. Les questions ne vous apportant pas de réponses, vous vous accommodez de celles qui vous conviennent. J'étais persuadé que la misère ne relevait pas de la fatalité, qu'elle s'inspirait exclusivement des mentalités. Tout se façonne dans la tête. Ce que les yeux découvrent, l'esprit l'adopte, et on pense que c'est là la réalité immuable des êtres et des choses. Pourtant, il suffit de détourner un instant son attention de la mauvaise passe pour déceler un autre chemin, neuf comme un sou, et si mystérieux que l'on se surprend à rêver ... A Jenane Jato, on ne rêvait pas. Les gens avait décidé que leur destin était scellé et qu'il n'y avait rien d'autre autour, ni derrière, ni en dessous. A force de regarder la vie du côté où le bât blesse, ils avaient fini par faire corps et âme avec leur strabisme.
Mon oncle me tendit la main. Je la saisis au vol. Quand ses doigts se refermèrent autour de mon poignet. Je cessai de regarder derrière moi.
J'étais déjà ailleurs.
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Le village ne disait rien qui vaille. C'était un trou perdu, triste à crever, avec ses bicoques en torchis craquelé sous le poids des misères et ses ruelles désemparées qui ne savaient où courir cacher leur laideur. Quelques arbres squelettiques se faisaient bouffer par les chèvres, debout dans leur martyre tels des gibets. Accroupis à leur pied, les désoeuvrés n'en menaient pas large. On aurait dit des épouvantails désaffectés, abandonnés là jusqu'à ce que les tornades les dispersent dans la nature.
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