Citations sur Le moine, l'Ottoman et la femme du grand argentier (2)
Fez, Tlemcen, Oran, Alger, récite le moine dans la barque qui le transporte vers le Maghreb. Deux climats différents s’opposent à travers le détroit de Gibraltar, l’hiver sur l’Europe, l’été sur l’Afrique. Deux mondes différents se regardent par-dessus un bras de mer. D’un côté les églises, les palais, les rues dallées, de l’autre les minarets, les ruelles en terre battue, les maisons en pisé. Les vieillards qui égrènent leurs chapelets les yeux dans le vague sont suspendus à la voix du muezzin qui leur apporte la bonne parole cinq fois par jour.
Tout ici est laissé à la volonté de Dieu. Personne ne détourne un cours d’eau, personne n’élague un arbre, qu’il donne des fruits ou qu’il n’en donne pas, son ombre suffit. « Ne coupe pas l’arbre stérile, dit le proverbe, mais répudie la femme qui l’est ».
Seul l’homme féconde la femme. Je suis bien placée pour le savoir. Mon hadji m’a labourée et ensemencée pendant treize lunes. Sa graine était aussitôt recrachée par mon terreau. « Prends-en une autre », l’encourageait le cheikh. Les ventres, c’est comme les terres. Il y en a d’ingrates, alors que d’autres te rendent ton semis au centuple. Il a fini par l’écouter.
Une femme n’existe que par ses enfants. Elle est mère ou rien. Un être hybride, ni homme ni femme, aussi inutile que les esprits hargneux qui habitent la montagne et qui viennent hurler les nuits d’hiver dans nos oreilles.