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EAN : 9782070469635
288 pages
Gallimard (18/02/2016)
4.2/5   15 notes
Résumé :
Née à Beharré, au Liban, en 1937, Vénus Khoury-Ghata est romancière, traductrice, mais avant tout poète. Bien que passée d’une langue à l’autre, de l’arabe au français, elle continue pourtant à se demander : «Comment pleurer dans une langue qui n’est plus la tienne / quel nom donner aux murs non imprégnés de ta sueur». Interrogation surprenante, tant Vénus Khoury-Ghata maîtrise les deux idiomes, mais interrogation féconde puisqu’elle ne cache pas les affrontements t... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Cette anthologie de la grande poétesse originaire du Liban regroupe quatre recueils : Quelle est la nuit parmi les nuitsLes obscurcisOù vont les arbres ? le livre des suppliques
Pour qui connait l'oeuvre de Venus Khoury Ghata, on retrouve ses thèmes de prédilection comme le rappel des chers disparus, le frère poète et interné en hôpital psychiatrique ou encore la figure très présente de la mère qui revient comme un leitmotiv dans toute l'oeuvre.
L'imagination de la poétesse se nourrit de sa culture arabo-libanaise, de son enfance et du quotidien. le lyrisme côtoie le prosaïsme au coude-à-coude, comme dans « inhumations »
« Manches retroussées
Vestes accrochées au noyer
Ils se mirent à plusieurs pour éventrer la terre
Poser la caisse dans le rectangle rouge
Avec midi soleil et sueur »
Elle fait aussi la part belle au merveilleux, comme dans les contes
« Elle lui apprit les vingt et une manières de marcher contre le vent
Et comment se lever avant la lampe sans l'offenser »

Dans « Où vont les arbres ? «, elle mêle le quotidien de la mère aux arbres des jardins et des forêts comme autant d'êtres vivants avec leurs propres sentiments.
« Les arbres bien nés sont frileux… »
« le saule n'attend aucune consolation »
« morte/ la mère ressembla au tilleul de la place »
Dans « Compassion des pierres », Vénus Khoury-Ghata se penche sur la question « D'où viennent les mots ? » Elle dévide un alphabet poétique. Il y a les mots cri, les mots larme, il y a le premier mot
« Les mots dit-elle étaient des loups » Les mots sont là pour dire le monde mais aussi l'autre côté du monde
« Des mots d'origines obscures qui sont l'ordinaire des morts »

Dans « le livre des suppliques », Vénus Khoury-Ghata s'adresse à ce frère poète et toxicomane, trop tôt disparu
« Tu es démuni aux moineaux qui attaquent ton figuier et déstabilisent ton échelle »
Et ce dialogue à un mort et beau et émouvant.

Bien sûr, il y aurait encore beaucoup à dire, tant l'écriture de Vénus Khoury-Ghata est d'une grande saveur et d'une richesse inouïe, mêlant prosaïsme et références littéraires.
L'écriture sensuelle et métaphorique de cette grande poétesse est tout simplement sublime.


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Vénus Khoury Ghata, poète, romancière, traductrice, critique littéraire, née au Liban, vivant en France depuis quarante ans, méritait bien son entrée dans la fameuse collection de poche Poésie/Gallimard. Détentrice de plusieurs prix importants, Vénus Khoury-Ghata est une signature féminine incontournable parmi les grands noms de la littérature francophone contemporaine. L'anthologie poétique Les mots étaient des loups présente des poèmes extraits de ses oeuvres majeures : Quelle est la nuit parmi les nuits, Les Obscurcis, Où vont les arbres et le Livre des suppliques.

Un combat entre deux langues
Le titre choisi pour relier ces poèmes, Les mots étaient des loups, un vers extrait de Compassion des pierres, montre assez le combat mené par la poète pour concilier ses deux langues, l'arabe et le français, deux langues qu'il a fallu insérer l'une dans l'autre. « Comment pleurer dans une langue qui n'est plus la sienne ? » Comment apprivoiser des mots qui font peur, seront-ils assez fidèles ? La lune est plus belle quand on la voit de loin, la distance imposée par la langue de l'exil, le français, a été salvatrice. Ainsi, malgré la honte, la culpabilité, le sentiment de trahison, le français est devenu la langue à vivre, l'arabe la langue à traduire.
« D'où viennent les mots ? », quel chant « alluma la première bougie » ?, ce questionnement sorti des terreurs de l'enfance parcourt la poésie de Vénus Khoury-Ghata. Qu'elles soient lointaines ou proches, les voix fantômes sortent de ses pages, l'écriture s'apparentant à une survie dans un monde où les morts se mêlent du sort des vivants et réciproquement. Entre réalité, fantasmagorie, hallucination, cette poésie narrative placée sous le signe de l'élégie, du lamento, de la nostalgie se retourne vers ses racines, vers l'entre-deux de la langue avec son poids de morts, ceux de la guerre civile qui détruisit le Liban, et ceux de sa famille : la mère, épuisée de fatigue, le frère poète, jeune Rimbaud au destin sacrifié à la place de qui elle écrit. Avec Vénus Khoury-Ghata, Orphée s'est fait femme. Parmi ces fantômes, la figure maternelle est la plus obsédante. le recueil s'ouvre d'ailleurs sur le long poème autobiographique Orties : ces mauvaises herbes, qui « montaient à l'assaut des fenêtres » et obscurcissaient tout dans la maison d'enfance, la ressuscitent de son tombeau. C'est cette mère, «analphabète bilingue», qui permet à sa fille de prendre la plume, qui surveille ses signes sur le papier, d'où l'écriture vécue tantôt comme une activité domestique entre « marmite écuelle louche bassine », tantôt comme un jardinage où il s'agit, « le râteau à la main / le crayon dans l'autre » de sarcler, de désherber, d'élaguer, de replanter.

Une poésie orphique
Les morts se mêlent d'un recueil à l'autre, notamment dans le Livre des Suppliques où revient la culpabilité de ne pas avoir su assez aimer l'être disparu (lire à ce sujet le roman La femme qui ne savait pas garder les hommes), d'avoir préféré écrire plutôt que vivre. La poésie de Vénus Khoury-Ghata, qui prend force d'oracle et de légende, se veut dialogue avec les morts nourris au ferment de nos vies. Les mots sont capables de tout, seuls ils peuvent sauver car ils ouvrent sur l'innocence et la liberté, on peut les manier comme on veut, ils apaisent, remplissent la vie et ressuscitent. La poésie ne divise pas car elle a le pouvoir unique de brasser les mondes et les âges, de les recomposer, de recoller lampes et miroirs qui saignent.
La poésie somptueuse de Vénus Khoury-Ghata transcende le clivage de ses deux langues, les deux s'aimantant sur sa page. À l'arabe, la langue de la mère, elle emprunte la magie baroque, l'imaginaire, l'ampleur, le galop du souffle, la générosité, la très grande liberté des images (on pense là au merveilleux Georges Schehadé), toute la saveur de l'orient. du français, la langue cartésienne imposée par le père, elle tire la rigueur, une certaine austérité formelle qui fait office de garde-fou salutaire, un lyrisme contenu sans sentimentalisme, sans théâtralité, qui retient l'émotion au bord des mots.
Cette poésie orphique a le don de métamorphose. La beauté éclate dans chaque vers, nous laissant confondus, enchantés au sens propre du terme tant chaque mot est habité. La mort peut enfin s'accepter.
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La poésie de Vénus Khoury-Ghata mêle choses, arbres et hommes, c'est une poésie animiste où les pierres sont comme des enfants et les arbres des individus qui parlent avec les vivants et les morts. On est un peu perdus dans ce paysage comme dans les peintures de Chagall.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
D'où viennent les mots?
de quel frottement de sons sont-ils nés
à quel silex allumaient-ils leur mèche
quels vents les ont convoyés jusqu'à nos bouches.

Leur passé est bruissement de silences retenus
barrissement de matières en fusion
grognement d'eaux mauvaises.
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Les galets
c’est des noyés devenus pierreux à force de retenir
leurs larmes
la femme les aligne sur son seuil par ordre de chagrin
le chien leur apprend à courir
les feuilles du frêne à applaudir
le puits à lire dans les intentions

Elle les laisse dire lorsqu’ils prétendent descendre
d’une lignée prestigieuse de montagnes
parler de droite à gauche comme dans les firmans anciens
ânnoner l’alphabet coufique
lettres martelées tels clous sur semelles de chamelier
mais se fâche
et les traite de cailloux, d’épluchures de requins, de
vomi de continents
lorsqu’ils prennent un palmier pour un minaret
une procession de fourmis pour une caravane
et le perroquet pour le muezzin
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LE LIVRE DES SUPPLIQUES


Mets de l'eau dans ta colère lorsqu'un fleuve s'accroupit
 sur ton paillasson
un fleuve ne s'essore pas
ne se renvoie pas à coups de pied
un fleuve n'est pas un chien
ne te mets pas en travers de son chemin lorsqu'il
 enjambe ton seuil
son eau effacera les empreintes du vent qui harcèle
 ta porte
étanchera la soif de ton âtre
et fera reluire les genoux de tes filles comme galets de
 ruisseau
Honte à ta femme qui lui donne à boire dans sa bassine
 trouée
il connaît ses secrets
connaît la chair fendue de sa marmite et le poil hirsute
 de son chanvre
honte à toi qui reconstruis ailleurs avec des pierres
 puisées dans un mur écroulé

p.238
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LE LIVRE DES SUPPLIQUES


Celui qui pénètre par effraction dans le jardin malade
 fait couler le sang blanc du bouleau
tu mets le feu à la page quand tu colores en rouge les
 cheveux de la fille qui tourne le dos au jardin malade
les fumées ternissent l'éclat de la lampe
le soir assombrit l'humus des murs
ce que tu prends pour toit n'est que pluies suspendues
et âmes indécises le linge qui frémit au vent

Demain
la page cessera d'être page et le crayon happé par le
 sol s'émiettera à tes pieds

p.223
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LE LIVRE DES SUPPLIQUES


Tu es démuni face aux moineaux qui attaquent ton
figuier et déstabilisent ton échelle
Arpenter une terre sous une autre terre t'enlève toute
énergie

tu demandes une chaise pour remettre de l'ordre dans
ton squelette et
demandes une trouée dans l'espace pour repérer ton
figuier
alors que tu n'as droit qu'au bruit de ses feuilles
et à l'odeur âpre de son lait

l'itinéraire de ton retour dans une poche cousue

p.222
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Videos de Vénus Khoury-Ghata (19) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vénus Khoury-Ghata
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ? […] On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin. […] Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus. […]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Silvia Baron Supervielle 0:38 - Annie Salager 1:28 - Vénus Khoury-Ghata 2:13 - Colette Nys-Mazure 2:44 - Françoise Thieck 3:10 - Josée Lapeyrère 4:42 - Jeanine Baude 5:36 - Générique
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Références bibliographiques : Couleurs femmes, poèmes de 57 femmes, Paris, co-édition le Castor Astral/Le Nouvel Athanor, 2010. Françoise Chandernagor, Quand les femmes parlent d'amour, Paris, Cherche midi, 2016.
Images d'illustration : Silvia Baron Supervielle : https://thalim.cnrs.fr/manifestations-culturelles/article/gestes-et-poesie-rencontre-avec-silvia-baron-supervielle Annie Salager : https://poussiere-virtuelle.com/wp-content/uploads/2017/04/Annie-Salager.jpg Vénus Khoury-Ghata : https://i0.wp.com/arablit.org/wp-content/uploads/2020/08/khoury-ghata-cat2.jpg?ssl=1 Colette Nys-Mazure : https://www.tga.fr/colette-nys-mazure-poete-chretienne-et-libre.html Josée Lapeyrère : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2c/Josée_Lapeyrère.jpg Jeanine Baude : http://editionsws.cluster011.ovh.net/wp-content/uploads/2015/05/DSCN5542.jpg
Bande sonore originale : Arthur Vyncke - Uncertainty Uncertainty by Arthur Vyncke is li
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