[…] La reprise est le terme décisif pour exprimer ce qu’était la « réminiscence » (ou ressouvenir) chez les Grecs. Ceux-ci enseignaient que toute connaissance est un ressouvenir. […]
Reprise et ressouvenir sont un même mouvement, mais en direction opposée ; car, ce dont on a ressouvenir, a été : c’est une reprise en arrière ; alors que la reprise proprement dite est un ressouvenir en avant. C’est pourquoi la reprise, si elle est possible, rend l’homme heureux, tandis que le ressouvenir le rend malheureux […].
L’idéal n’est pas de mourir de chagrin, mais de se conserver soi-même sain, joyeux si possible, tout en sauvegardant sa sensibilité.
L’existence tout entière était comme amoureuse de moi et tout tressaillait en un commerce fécond avec mon être. Tout en moi était présage, toute énigme s’éclairait dans la félicité de mon microcosme.
La reprise est une épouse aimée, dont on ne se lasse jamais ; car c’est du nouveau seulement qu’on se lasse.
Alors, je compris tout sans peine. La jeune fille n’était pas la bien-aimée, mais l’occasion qui éveillait en lui le génie poétique et faisait de lui un poète. Aussi ne pouvait-il que l’aimer, sans jamais l’oublier, sans jamais vouloir en aimer une autre, sans jamais cesser non plus de languir après elle. Elle avait imprégné tout son être et lui laissait un souvenir éternellement jeune. Elle avait joué un grand rôle dans sa vie en le rendant poète ; mais, par là même, elle avait signé son propre arrêt de mort.
La situation du jeune homme devenait de plus en plus pénible à mesure que le temps passait. Sa mélancolie le dominait de plus en plus et sa vigueur physique se consumait dans la lutte où son âme était engagée. Il voyait la jeune fille malheureuse par lui, sans qu’il eût conscience d’aucune faute ; mais cette absence totale de culpabilité où il se rendait coupable du malheur de la jeune fille lui était un scandale qui portait sa passion à la furie.
Chaque possible du moi est donc une ombre qui rend un son. Ce moi caché croit aussi peu aux sentiments bruyants qu’aux chuchotements astucieux du mal, aussi peu à l’allégresse de la joie qu’aux soupirs sans fin de la tristesse ; le moi veut simplement voir et entendre de façon pathétique, mais, je le souligne, sa propre manifestation. Pourtant, il ne veut pas s’entendre lui-même réellement, et c’est complètement impossible. Le fait-il : à l’instant même le coq chante, les fantômes de l’obscurité s’évanouissent, les voix de la nuit se taisent. Si on les entend encore, c’est que nous sommes alors dans un tout autre domaine où la scène se passe sous l’angoissant contrôle de la responsabilité ; c’est que nous touchons au démoniaque. Alors, pour échapper à la perception de son être réel, le moi caché exige un milieu éphémère et subtil comme en offrent les ombres, où les mots bruissent dans une sorte de murmure sans écho. Tel est le milieu qu’est la scène, ainsi propre aux fantasmagories du moi caché.
Dans l’individu, la reprise se montre aussi comme tâche pour la liberté lorsqu’il s’agit de sauvegarder sa personnalité de la volatilisation et d’être pour ainsi dire gagée dans l’évènement. A l’instant où il apparait que l’individu risque de se perdre dans l’évènement, le destin, de se perdre sans cesser le moins du monde d’être contemplatif, mais en faisant passer la liberté dans des fractions de vie sans laisser un reste, à ce moment, le problème se pose, non à l’agrément souverain de la contemplation, mais à la soucieuse passion de la liberté.
Non ! qu’on reste donc en repos dans sa chambre, puisque tout est vanité et que tout passe, et l’on voyagera encore plus vite qu’en chemin de fer, tout en restant bien tranquille.
La reprise est le pain quotidien, une bénédiction qui rassasie. […] La reprise est la réalité, le sérieux de l’existence.
Seigneur Dieu ! l’affligé est un peu jaloux de son chagrin. Il veut que celui qu’il initie à son chagrin puisse en sentir tout le poids, toute la signification.