La couverture de
Sirènes, roman policier très noir de
Joseph Knox, me semble particulièrement bien choisie : un lettrage au contour estompé et des lumières vives mais floues illuminent la nuit, sans apporter ni chaleur ni joie à cette image urbaine. Nous sommes à Manchester, et nous allons accompagner un jeune flic, Aidan Waits, pendant la dernière partie de sa descente aux enfers…
Le roman est divisé en six parties présentées comme bien distinctes, et dans lesquelles le temps semble s'accélérer : la numérotation des chapitres recommence chaque fois, et les parties sont de plus en plus courtes. « Ensuite », le premier mot du bref prologue de deux pages, laisse supposer qu'un avant est important… Nous sommes à la page 11, et nous retrouverons le premier paragraphe, mot pour mot, à la page 373, au début de la sixième et dernière partie. La presque totalité du roman va donc nous raconter ce laps de temps d'un an, d'un mois de novembre à un autre.
Dans le prologue, on fait la connaissance de Waits, jeune flic en disgrâce, qui patrouille de nuit avec son équipier, Sutty. Waits regarde la photo d'une jeune femme morte qu'il connaît : « la dernière des trois », mais il refuse de répondre aux questions de son équipier et d'expliquer « ce qui s'est réellement passé là-bas ». Il y aura pourtant beaucoup de choses à raconter : « Je savais seulement où ça avait commencé un an plus tôt. Les trois fautes contre moi, et toutes les raisons qui m'empêchaient de refuser ».
Pour ce qui est des deux dernières fautes, le lecteur sera fixé avant la page 40 ! Waits a fortement indisposé un supérieur hiérarchique en en tentant de prouver qu'un prétendu suicide est en fait une affaire de meurtre (c'est la deuxième faute), et, parmi des pièces à conviction, il a piqué un sachet de drogue qu'il a remplacé par du talc (c'est la troisième). Pour connaître la première faute de Waits, celle qu'il ne se pardonne pas, il faudra attendre un peu plus longtemps et remonter jusqu'à son enfance.
Ce flic en disgrâce ne peut pas donc refuser la dangereuse mission d'infiltration que lui propose Pars, un policier haut placé. Dangereuse, parce que Waits doit s'introduire dans le cercle des proches de Zain Carter, un important trafiquant de drogue, autour duquel gravitent des hommes de main et les «
sirènes », les filles chargées de collecter l'argent de la drogue. Dangereuse, parce que le but de cette infiltration est de démasquer le flic qui renseigne Carver. Dangereuse, parce qu'à cette première mission va s'en ajouter une autre : surveiller Isabelle Rossiter, dix-sept ans, fille d'un richissime attaché de cabinet, qui voit dans la fréquentation de Carver une manière de se rebeller contre son milieu et contre son père, prétend ce dernier. Dangereuse enfin, parce que Aidan Waits est paumé, malheureux, et surtout accro : à l'alcool, à la coke, aux amphétamines et autres pilules… Et Waits tâtonne, son enquête piétine, quand il avance un peu, il prend des coups de poing ou pire… Il boit trop, soigne ses gueules de bois aux euphorisants et gère son stress à coup de calmants. Il entraîne ses lecteurs avec lui dans sa confusion, ses pertes de mémoires, sa profonde tristesse.
J'ai bien aimé ce roman noir, très noir, même si je me suis parfois perdue en suivant Waits. Ce qui sauve le personnage, je crois, c'est sa profonde compassion pour tous les bras cassés dont il va croiser la route, surtout pour les femmes de l'entourage de Carver, ces
sirènes bien malmenées par la vie, elles aussi. Il ne juge pas, il constate les dégâts et quand il peut, il essaye d'apporter son aide, dans la mesure de ses moyens et sans souci de se préserver lui-même. Pas de manichéisme non plus : la plupart des « méchants » ont des fêlures, des failles qui à un moment ou un autre vont les rendre brièvement touchants…
Merci au Grand Prix des Lectrice de Elle et aux éditions du Masque.