La sortie

- Personne n'est « normal », la contredit le garçon cochon. Certains se sentent jeunes, vieux, grands, petits, musclés... Peut-être que c'est juste comme ça que tu te vois.

Ce monde est sans foi ni loi!

Elle avait été si naïve... Et maintenant, elle était seule. Seule et inutile.
C'était un constat atroce, oppressant... mais véritable.
Elle n'était rien, et rien de ce qu'elle faisait n'avait d'importance.
Non.
Rien n'avait d'importance.

12 avait beau être soulagée de voir son ami vivant, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un soupçon de colère mêlée à un profond sentiment de... Elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Était-ce de la peur ? Du doute ?
Les paroles dé 24, son attitude... Tout ça avait du sens, compte tenu de l'évolution de leur situation. N'est-ce pas ?

- Tu sais, c'est un peu ça la vie, poursuivit 6 en frottant sa main gauche contre sa plaie. On se bat tous, jusqu'au bout, chacun à notre manière. On réussit, on rate, on perd, pour de bon, on vit, on meurt. C'est un combat permanent. Mais au cœur de ça, il reste un espoir : celui de croire qu'un jour, peut-être, quelqu'un qui le mérite finira par y arriver. C'est ça le destin : pas un écrit dans le marbre, une ligne toute tracée, mais un projet qu'on bâtit peu à peu, pour nous comme pour les autres.

- NOUS PENSONS TOUS ÊTRE SI IMPORTANTS, TOUS VOUÉS À UNE DESTINÉE PROFONDE, UN BEL AVENIR...
Puis il secoua la tête.
- POURTANT, NOUS NE SOMMES RIEN. SIMPLEMENT DESTINÉS À POURRIR.
Il désigna avec dédain le cadavre d'une adolescente dont le cœur glissait hors de sa poitrine.
- À MOURIR.

- Ça va ? murmura gentiment le garçon en lui caressant la main.
Ces simples mots prononcés par cet enfant naïf, à cet instant, firent naître en 4 un sentiment. Ce sentiment enfoui sombre, cruel et froid, le heurta en tous points, se propageant, comme une tumeur maligne véloce, de son cerveau à ses mains en passant par son cœur. Cette haine indicible l'attaqua si sévèrement qu'il perdit contrôle, laissant place à des émotions qui le poussèrent à un acte impardonnable.
Un acte qui, à jamais, restera gravé dans sa mémoire.

- CERTAINS COMPRENNENT, CERTAINS L'IGNORENT, POURTANT, NOUS NOUS FIONS TOUS À NOTRE INSTINCT. BEAUX, LAIDS, NAÏFS, MEFIANTS, STUPIDES, BRILLANTS... SI DIFFERENTS ET, POURTANT, TOUS MOTIVÉS PAR LE MÊME BUT.
Il leva une patte vers le haut du mur qui disparaissait dans l'infini obscur. Comme pour lui répondre, un nouveau barrissement retentit.
- AU BOUT DE SA TROMPE. LA-HAUT. LA SORTIE. LA GRANDE DESTINÉE.
Il frappa quatre fois son torse velu en respirant plus fort, une pointe d'excitation dans la voix.
- MA GRANDE DESTINÉE !

- Comment peux-tu dire que ce monde est beau ? insista-t-elle, si dévorée par l'émotion qu'elle tremblait. Ce gorille horrible, ces gens malades, Second 6, 24, ces monstres, ce ciel, cette terre... Tout est sale, violent.
- Sans pitié, oui.
26 hocha lentement la tête.
- Ce monde est beau, 12, oui. Beau et sans pitié. Il suffit de l'observer. La violence, la souffrance, la mort... Elles en font partie, comme les notes d'une grande symphonie. Mais derrière elles, si on regarde bien...

La créature, un gorille blanc de plus de deux mètres, portait un long masque à gaz sale qui cachait sa bouche, ses yeux et ses oreilles. Des veines rouge-noir parcouraient les deux bras musclés sur lesquels il s'appuyait. L'écho de ses respirations lourdes et malades résonnait continuellement, tel le souffle incessant d'une brise hivernale.
Sur son poing gauche apparaissait un chiffre.