L'auteur de ce roman publié en 1998,
Ahmadou Kourouma est décédé en 2003. Il avait obtenu le prix du Livre Inter en 1999, ce qui est un gage de qualité. Il nous plonge dans l'Afrique de la fin du 19 ème siècle à la fin du 20 ème, mais surtout dans les années qui ont succédé à l'indépendance des pays africains, avec l'arrivée au pouvoir de nombreux dictateurs. Il montre notamment le rôle, des pays colonisateurs, dont la France, dans l'émergence de ces dictatures. Beaucoup des dictateurs de la première génération après l'indépendance avaient été militaires, sous-officiers, officiers dans l'armée française avant de rejoindre l'armée de leur pays et de faire des putschs pour s'emparer du pouvoir. La politique internationale, pendant cette période dite de la guerre froide, les a aidés pour prendre et se maintenir à la tête de leur pays souvent en fermant les yeux sur la répression sanguinaire qu'ils faisaient subir à leur peuple. Les pays sont de fiction, ils ont des noms neutres, République du Golfe, République des deux fleuves etc... Les noms des dictateurs sont également inventés, mais leurs descriptions, leurs tenues vestimentaires, leurs parcours, les atrocités, les abus qu'ils commettent, leurs mégalomanies font forcément penser à ceux qui ont réellement existé.
Lors d'une cérémonie en six veillées, autour du Président Koyaga, un dictateur sanguinaire, un griot lui retrace sa vie. Il revient sur ses origines dans la tribu des hommes nus. Sur l'enrôlement forcé dans l'armée française, de son père, qui se comporte en héros dans les tranchées de Verdun. Sur son propre enrôlement dans l'armée coloniale française en Indochine et en Algérie, et ensuite sa prise du pouvoir lors de son retour dans son pays. Il relate l'importance des marabouts, des sorciers, du fétichisme, des croyances occultes, des religions, conversions au christianisme, l'influence prédominante de l'islam. Il décrit les leçons que lui ont données ces collègues despotes déjà en place. Il lui rappelle les assassinats qu'il a commis pour arriver et se maintenir au pouvoir, ses abus pour assouvir sa mégalomanie, en terme de fêtes à sa gloire, de constructions gigantesques inutiles, en terme d'armement militaire injustifié. Les vols qu'il a perpétrés dans les caisses de l'état pour son enrichissement personnel. Les chasses monstrueuses qu'il organisait, détruisant sans réserve la faune sauvage, pour asseoir devant son peuple, et devant ses hôtes étrangers, sa réputation de maître chasseur.
Ce qui est surprenant pour un lecteur qui ne connaît pas l'Afrique, c'est le rôle des marabouts, notamment dans le roman celui de la mère sorcière de Koyaga, Nadjouma, la notion également d'homme de destin, (Koyaga est l'homme de destin de Maclédio, celui qui le pousse aux pires atrocités), le besoin pour tous ces dictateurs d'avoir un totem, untel à pour totem le caïman, un autre la hyène, un autre encore le léopard.
C'est à la fois un conte émaillé de proverbes africains dans lequel l'humour côtoie le pathétique, et un roman qui s'appuie sur l'histoire du continent dont l'auteur a été le témoin.