En 1943, en pleine Deuxième Guerre mondiale, a eu lieu un événement étrange et peu connu : l'affrètement par le gouvernement turc d'un train spécial de Paris à Istanbul pour sauver la vie de 176 Juifs, dont une partie n'était même pas d'origine turque. Cet exploit a été le fruit d'une coopération exemplaire entre diplomates turcs en poste à Berlin et en France à Paris, Marseille et Vichy d'une part et des fonctionnaires haut placés du ministère des affaires étrangères à Ankara d'autre part, avec l'accord explicite du Premier ministre et Président de la République, Ismet Inönü (1884-1973). Un président d'une toute autre trempe que l'actuel sinistre Erdogan, qu'avec la meilleure volonté du monde je ne vois pas sponsoriser un voyage risqué pour le bénéfice d'une minorité non musulmane.
L'auteure, Ayşe Kulin, a produit au début de son ouvrage une liste honorifique des 20 diplomates turcs qui ont joué un rôle dans cette opération de sauvetage de citoyens juifs. Je crois qu'il convient de mentionner tout d'abord le Ministre des affaires étrangères 1942-1944, Numan Menemencioglu, l'ambassadeur turc à Vichy, Behic Erkin, et le consul turc à Rhodes. Selahattin Ülkümen, que le mémorial de l'holocauste à Jérusalem, Yad Vachem, a proclamé "Juste parmi les nations".
Dans ses remerciements en fin de volume, l'auteure spécifie que son ouvrage n'est pas basé sur la vie de personnes ayant réellement existé, mais sur les expériences relatées par de nombreux diplomates turcs impliqués dans cette entreprise humanitaire. Ayşe Kulin mentionne également 6 livres, mais malheureusement uniquement les auteurs et les titres en Turc, une langue qu'hélas je ne comprends absolument pas.
En toute logique, il s'agit très probablement de personnes également impliquées dans cette aventure et qui ont écrit des souvenirs ou mémoires. Des documents qui ont sûrement inspiré notre auteure à créer ses personnages fictifs.
Sur fond de réalité historique, Ayşe Kulin nous relate une longue et belle histoire de personnages courageux, qui prennent des risques considérables pour venir en aide à des personnes qu'ils connaissent à peine par sympathie, pitié ou humanité afin de leur préserver un sort horrible dans des camps nazis.
Nous assistons à la préparation de cette manoeuvre délicate, dangereuse et complexe, nous faisons la connaissance d'une ribambelle de personnages assez variés, puis nous montons à Paris dans ce fameux train à destination d'Istanbul.
C'est surtout le récit de ce long voyage en train avec des modifications d'itinéraires, des escales et arrêts non prévus, même en rase campagne et sans raison apparente, qui m'a plu. Les organisateurs de ce périple ferroviaire ont même eu l'idée saugrenue mais, réflexion faite, géniale de traverser le territoire allemand et de passer par Berlin. Estimant que personne ne pourrait imaginer que des Juifs auraient le culot de voyager en train en Allemagne ! Si effectivement en optant pour cette formule les contrôles de la Gestapo et autres polices se passent plutôt bien, cela n'empêche évidemment pas la peur des voyageurs.
S'ils n'y avaient pas la guerre et les hostilités, ce serait une belle randonnée de Paris à Reims, Mannheim, Francfort, Magdebourg, Berlin, Leipzig, Prague, Bratislava, Budapest, Bucarest, Constanța, Edirne et finalement Istanbul l'enchanteresse ! Une minorité de compagnons continuera d'ailleurs son chemin vers la Palestine.
Il s'agit en somme d'un roman captivant, raconté dans le style de la tradition classique. Ayşe Kulin écrit correctement, mais sans grande originalité. Peut-être que mon jugement est quelque peu influencé par le dernier livre que j'ai lu avant celui-ci et qui a été écrit par une magicienne de la formulation originale et des trouvailles, l'albano-suisse
Bessa Myftiu.