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Citations sur Nous étions des êtres vivants (66)

tout ce qui me fait défaut devient force, forge une belle solitude contre laquelle personne ne peut rien
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Paul Cathéter ne veut pas nous connaître. Pour tuer un chien, il ne faut pas croiser son regard, dit Christophe, le seul qui soit capable de prononcer une phrase avec un sujet, un verbe et un complément. Étrange : on n'aurait pas pensé que ces mots pouvaient venir de lui. Nos phrases à nous ne se finissent pas, elles tournent en rond sans trouver leurs points finals. Tu crois que. Ce n'est pas possible que. Il n'a pas pu. C'est complètement. Agathe, ça faisait combien de temps qu'elle. Amandine, c'est quand même. Il était pourtant si sûr de rester, Patrick, il nous encourageait même à. C'est. L'enfoiré de Cathéter, il est. Les regards s'agitent et cherchent le réconfort dans les yeux de l'autre. Ne pas être seul, surtout.
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Le coupable, en cet instant, nous voudrions tous l'être. Ce culot, nous aurions tous aimé l'avoir. Éventrer les cartons, quel bonheur, éventrer les projets foireux, éventrer les chefs, éventrer les décisions arbitraires, les représailles, les abus de pouvoir, les entretiens dont on sort la queue entre les jambes alors que ça fait vingt ans qu'on est dans la boîte et qu'on s'entend soudain dire qu'on n'est plus bons à rien, éventrer la bêtise, éventrer ce rien qui tient lieu de tout et devant lequel on doit s'agenouiller. On aime notre métier, et le métier ne nous aime plus.
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"- Point positif : talentueuse. Elle retrouvera un poste à sa mesure et à la hauteur de ses compétences. Aucune inquiétude la concernant.
- L'obliger à partir, c'est lui rendre service."
Ainsi va le déni.
Ainsi se transforment les saloperies en bonnes actions.
Ainsi sont lavées les consciences.
Ainsi peut-on menacer, dénoncer, trahir et penser que l'on participe au grand assainissement nécessaire pour sauver une société malade.
Ainsi obéit-on lâchement avec la conviction d'être héroïque.
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Nous voulions profiter le plus longtemps possible d'être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d'être seul devant les questionnaires du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d'une façon hardie. Nous allions vite devenir coupables de n'avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue. Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c'est partout pareil... Et pourtant, non, ce n'est pas partout pareil. C'est partout singulier, c'est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve, mais, par pitié, pas elle, oh non, pas elle. Partout, c'est elle, qui espérait une récompense parce qu'elle s'était tenue bien sage, avait fait tout ce qu'elle pouvait, avait mis des bouchées doubles comme on le lui avait demandé (ah, les bouchées doubles !), toléré les humiliations et accepté d'humilier à son tour pour sauver une place qu'elle a de toute façon perdue. [...]
Nous allions finalement rejoindre nos bureaux, ne sachant désormais que faire de notre solidarité. La contempler ainsi dans toute son impuissance nous rendait encore plus malheureux.
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C'est impossible. Nous refusons d'y croire. Des voix s'élèvent. Certains d'entre nous sont en colère. Et cette colère se propage à une vitesse enivrante. La colère est un remède contre l'aliénation. Nous ne savons pas bien ce que nous allons faire d'elle. La colère s'organise, dit quelqu'un. Non, la colère ne s'organise pas, lui répond-on, ça suffit d'entendre parler d'organisation. Créons le désordre, au contraire !
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La crasse est un terrain fertile où germe l'idée du pouvoir.
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J'ai rarement l'occasion de me trouver à la poste pour retirer une lettre recommandée. Je me sentirais presque grandie par l'importance que l'on me témoigne. On recommande, pour moi, une lettre. On paye le service. Et je suis là, à attendre. La lenteur me caractérise. Lenteur dans les mouvements, lenteur de la pensée... et soudain, je comprends. On ne peut me recommander que de partir, d'aller loin, de ne plus appartenir à ce monde où il faut que tout aille vite. [...] Maintenant, j'ai presque envie que ça traîne.
Je pourrais quitter la poste et revenir plus tard. Mais lorsque l'on a commencé à attendre quelque part, il devient impossible de s'arracher de l'endroit. Les autres passeraient avant vous, et ce seul fait vous agace, non parce que vous en voudriez aux gens qui profiteraient de votre démission, mais parce que rester vivant consiste aussi à occuper le terrain. Que ce soit à la poste, au travail, dans un appartement, avec vos enfants, vos amis, vos mari ou femme, vos parents, votre vie en général, me dis-je, il faut tenir sa place. M'apercevant soudain que j'étends ma situation au monde entier, je souris. Une femme répond à mon sourire, pensant qu'il lui est adressé. Je me sens plus forte, je n'ai plus peur du recommandé.
"Madame,
Nous vous informons que nous sommes amenés à envisager à votre égard une mesure pouvant aller jusqu'au licenciement pour motif personnel. [...]"
Alors c'était bien ça. Je viens de lire ma lettre de licenciement. Et j'ai eu beau pressentir que c'était la seule chose qui pouvait m'attendre derrière le guichet, maintenant que j'ai lu les mots, ce n'est plus pareil. Je n'ai plus de travail. Je ne me sens plus du tout le monde entier.
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Après n'être venue que quelques heures par jour, Pimprenelle était restée plus longtemps, puis finalement la nuit. Ne possédant plus aucune famille pour des raisons confuses, qu'elle avait tenté de m'expliquer (et les versions avaient plu par dizaines, si bien que je l'avais soupçonnée de l'avoir elle-même fait disparaître), elle avait spontanément proposé de s'installer avec mon père quand je lui avais fait part de mon projet de le placer en maison de retraite.
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- Une nouvelle organisation va être mise en place, et Paul Cathéter m'a demandé de réfléchir à l'arbre hiérarchique qui permettrait de répercuter les directives de manière que les ordres soient vécus comme des invitations à se fondre dans l'intérêt commun que sera notre nouvelle entreprise, une entreprise gagnante et dynamique qui, si elle génère du profit, n'en sera pas moins garante de qualité.
[...] Je ne comprenais pas les phrases dont Muriel Dupont-Delvich usait pour tenter de me convaincre. Et pourtant, quelque chose a eu prise sur moi. Cette chose ne concernait pas le sens, mais la façon dont le discours était énoncé. J'avais l'impression d'être sous hypnose, et la litanie dont je saisissait des bribes - organisation, pouvoir, intérêt, garant, gérant, responsabilité, devoir, persuasion, économie - gagnait mon cerveau, le convoitait, l’amollissait, le délassait. Je flottais, me sentais en apesanteur, comme sous l'effet d'une drogue.
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