Je considère mon travail comme une tâche à accomplir et non comme l'occasion d'établir des contacts, de me faire des amis.
Nous nous méfions de nous-mêmes, craignant de nous le pire : pourrions-nous devenir autres si l'occasion se présentait ?
Éventrer les cartons, que bonheur, éventrer les projets foireux, éventrer les chefs, éventrer les décisions arbitraires, les représailles, les abus de pouvoir, les entretiens dont on sort la queue entre les jambes alors que ça fait vingt ans qu'on est dans la boîte et que l'on s'entend soudain dire qu'on n'est plus bon à rien, éventrer la bêtise, éventrer ce rien qui tient lieu de tout et devant lequel on doit s'agenouiller. On aime notre métier et notre métier ne nous aime plus.
Nous ne pouvions plus rien faire de nos jambes, de nos mains, de nos cerveaux. Nous avancions en tâtonnant, et la présence de celui qui était devant rassurait celui qui le suivait. Nous voulions profiter le plus longtemps possible d’être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d’être seul devant les questionnaires du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d’une façon hardie. Nous allions vite devenir coupables de n’avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue. Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c’est partout pareil… Et pourtant, non, ce n’est pas partout pareil. C’est partout singulier, c’est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve, mais, par pitié, pas elle, oh non, pas elle. Partout c’est elle, qui espérait une récompense parce qu’elle s’était tenue bien sage, avait fait tout ce qu’elle pouvait, avait mis des bouchées doubles comme on le lui avait demandé (ah, les bouchées doubles !), toléré les humiliations et accepté d’humilier à son tour pour sauver une place qu’elle a de toute façon perdue.
J'étais prise de panique : mon rêve tentait de m'apaiser pour mieux me trahir.
Papa me disait toujours : L'existence te sera plus douce si tu ne te mêles pas de ce qui ne te regarde pas. Je ne me mêle de rien et n'en veux à personne.
Nous sommes sortis un à un de la salle, le visage fermé. nous ne savions pas quelle direction prendre. Nous ne voulions pas rentrer sagement dans nos box. Nous ne pouvions plus rien faire de nos jambes, de nos mains, de nos cerveaux. nous avancions en tâtonnant, et la présence de celui qui était devant rassurait celui qui le suivait. Nous voulions profiter le plus longtemps possible d'être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d'être seul devant les questionnements du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d'une façon hardie. nous allions vite devenir coupables de n'avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue. Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c'est partout pareil. C'est partout singulier, c'est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve.
Je suis débordé, dit-on. Mais l’on aime que ça déborde, que ça nous dépasse, que ça nous inonde. Avoir du temps serait presque l’aveu de notre inutilité.
Désespérant et inquiet, autoritaire et veule, il a tenté chaque jour d'enfiler son costume de chef et l'a usé jusqu'à la corde sans jamais obtenir la reconnaissance attachée à sa fonction. (p.104)
Aujourd'hui, manoeuvrer, dénoncer, flatter, faire preuve de cynisme et jouer les forts en thème suffit pour accéder au rang de supérieur. Les compétences passent au second plan.